Quelques informations à propos de l’ouvrage de Tadeusz
Zielinski consacré à Chopin : le texte du chapitre 1 (« Enfance »)
Classement : questions biographiques ; écrits sur Chopin
Ceci est la suite de la page Tadeusz
Zielinski biographe de Chopin, consacrée à cette personnalité du
monde musical polonais et à son ouvrage intitulé Frédéric Chopin, paru aux
éditions Fayard en 1995 (traduit d’un ouvrage polonais paru en 1993)
Après le « Prologue »,
je reproduis ici le début du premier chapitre, intitulé « Enfance »,
qui sera étudié sur une page spécifique. Ce texte inclut une note de
l’auteur (après le texte).
Les astérisques sont des appels de notes de ma part (en bas
de page).
Je mets en valeur (en gras) les passages notables.
Texte
« Page 21
CHAPITRE PREMIER
Enfance
Avant même la naissance de
l’enfant – dans le cas où le sort leur donnerait un fils – Mikołaj et Justyna
Chopin avaient décidé qu’il aurait pour parrain Fryderyk Skarbek, l’ainé des
enfants de la comtesse, et se prénommerait Fryderyk en l’honneur de celui-ci.
Les liens d’amitié qui unissaient les Chopin aux habitants du manoir de Żelazowa Wola avaient tout
naturellement dicté ce choix. Or, à la
naissance de Fryderyk Chopin, Fryderyk Skarbek, alors âgé de dix-huit ans,
faisait ses études à Paris. Il fallut donc lui écrire pour obtenir son accord
de devenir « de loin » le parrain de l’enfant, avec toutes les
obligations qui en découlaient, et convenir d’un remplaçant pour la cérémonie
du baptême.
L’échange de lettres avec Paris
se prolongea*, et c’est plus de sept semaines après la naissance de l’enfant,
le 23 avril 1810, que le baptême eut lieu à l’église paroissiale Saint-Roch de
Brochów. Franciszek Grembecki, du village Ciepliny, fut son parrain par
procuration et la sœur de Fryderyk Skarbek, Anna, sa marraine. L’enfant reçut
les prénoms de Fryderyk et de Franciszek (François). A travers ce second
prénom, ses parents honoraient Grembecki, mais aussi le grand-père lorrain du
garçon,
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le lointain François Chopin, qui n’apprit d’ailleurs jamais la naissance de son
petit-fils polonais.
Par une curieuse méprise, une
date de naissance erronée fut portée sur les deux documents rédigés ce jour-là,
et conservés à Brochów : l’acte de naissance* (en polonais) et l’acte de
baptême* (en latin). Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis la naissance
de l’enfant, et le père, qui réglait lui-même les formalités à la paroisse, se
trompa à l’évidence dans ses calculs : il se souvenait certainement que
son fils était né un jeudi, mais il compta une semaine de plus et indiqua le 22
février, alors que le garçon était né le jeudi suivant, 1er mars. Mikołaj n’était pas très précis dans les
dates – il se trompait même sur sa propre date de naissance*. Il n’attachait
visiblement aucune importance à l’exactitude des papiers administratifs, car il
ne rectifia même pas la faute d’orthographe commise par le curé, qui avait
inscrit dans l’acte de naissance de Fryderyk le nom « Chopyn », ni
celle du vicaire, qui avait écrit dans l’acte de baptême « Choppen »*.
En dépit du contenu des actes
officiels, la famille Chopin fêtait toujours l’anniversaire de Fryderyk le 1er
mars et lui-même indiquait invariablement cette date comme celle de sa
naissance. Il considérait aussi Fryderyk Skarbek comme son véritable parrain, y
compris dans son âge mûr (1).
INSTALLATION A VARSOVIE
Quelques mois à peine après la
naissance de leur fils, les Chopin durent faire leurs adieux à Żelazowa Wola.
L’éducation familiale des plus jeunes garçons Skarbek tirait à sa fin et leur
mère avait l’intention de les inscrire – comme elle l’avait fait auparavant
pour son ainé Fryderyk – au lycée de Varsovie. Mais leur précepteur de toujours
pourrait continuer à prendre soin d’eux car, par un heureux hasard, un poste de
bon rapport de professeur de français
dans les petites classes se libérait le 1er octobre, précisément
au lycée de Varsovie. Lié d’amitié
avec la comtesse Skarbek, le directeur du lycée, Samuel Bogumił Linde* (par ailleurs un savant éminent,
auteur d’un Dictionnaire de la langue polonaise en six tomes, dont les premiers
avaient déjà paru), avait fait chez elle la connaissance de Mikołaj Chopin et
l’engagea sans hésiter pour le poste vacant. Après
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des années d’enseignement en qualité de
précepteur, Mikołaj faisait un grand pas en avant dans sa vie personnelle et
professionnelle. Il accepta volontiers la proposition, échafaudant en pensée
d’autres projets pour l’avenir.
C’est ainsi qu’à l’automne 1810,
les Chopin et leurs deux enfants quittèrent Źelazowa Wola pour la capitale. Ils
furent logés au palais de Saxe*, qui abritait le lycée, situé entre le jardin
public de Saxe et la grande et élégante
place du même nom. Afin d’accroitre leurs revenus, ils décidèrent dans la
foulée d’ouvrir un pensionnat privé
destiné à accueillir les fils des riches familles terriennes, qui venaient
faire leurs études à Varsovie et avaient besoin d’un logement approprié. Le
savoir-vivre et les manières raffinées de Mikołaj le prédisposaient fort bien
au rôle de directeur de ce genre de pensionnat élitiste, qui, dans son esprit,
devait non seulement recevoir des « garçons bien nés », mais aussi
leur assurer une formation complémentaire et leur garantir une éducation
convenable hors de la maison. Les deux plus jeunes Skarbek devinrent ses
premiers pensionnaires.
Peu après, de plus larges
perspectives professionnelles s’ouvrirent devant Mikołaj. En janvier 1812, il obtint le poste et le rang de professeur à l’Ecole
d’artilleurs et d’ingénieurs et, à partir de 1813, Linde lui confia les cours
des classes supérieures du lycée. Un an plus tard, il reçut le titre officiel
de « professeur de langue et de littérature françaises » dans ces
mêmes classes. Cet avancement, et l’augmentation de revenus qui en
découlait, arrivaient à point nommé car la famille Chopin venait de
s’agrandir : Izabela était née le 9 juillet 1811, suivie d’Emilia le 20
novembre 1812.
Cette année-là marqua le début du
dernier acte des guerres napoléoniennes sur les terres polonaises. Sous la
conduite de l’empereur, l’armée française – aux côtés de laquelle combattaient
près de cent mille Polonais que l’on avait persuadés de la restauration définitive
de leur Etat après la victoire – s’ébranla contre la Russie. Mais l’expédition
se termina par un immense désastre ; la Grande armée fut presque
entièrement anéantie et Napoléon battit précipitamment en retraite sur la rive
occidentale de l’Oder. En février 1813, les troupes russes pénétrèrent dans
Varsovie ; le gouvernement du duché de Varsovie trouva refuge à Cracovie
restée libre.
Ce fut le début de la fin. A
l’automne, une bataille dramatique
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qui préfigurait le sort de l’empire napoléonien, se déroula près de Leipzig*.
Le prince Józef Poniatowski, général en chef des armées polonaises, y périt,
lui qui était resté fidèle à la France jusqu’au bout alors que tant de ses
anciens alliés passaient en masse du côté des vainqueurs.
Notes de l’auteur (pages 794-796)
Note de la page 22
La vraie date de naissance de
Chopin est, selon nous, le 1er mars 1810, si l’on s’en tient aux
déclarations officielles du compositeur (dans la correspondance qu’il adressa à
la Société littéraire polonaise, à Paris, en janvier 1833, et à Fétis*, en mars
1836, répondant à un questionnaire pour la Biographie
universelle des musiciens). Les registres paroissiaux découverts en 1893 à
Brochów, qui indiquent la date du 22 février, ne sauraient, à notre avis,
remettre en question le témoignage de Chopin*, ni celui de sa mère (voir la
lettre de celle-ci à son fils datant de février 1830, dans laquelle elle évoque
son anniversaire), sans compter les nombreuses déclarations d’autres personnes
proches de Chopin. Or, à l’encontre de toutes ces déclarations, c’est
malheureusement la date du 22 février qui a été gravée sur le lieu de naissance
du compositeur à Żelazowa Wola et ailleurs, en Pologne et en France, y compris
sur la maison où Chopin est mort, 12, place Vendôme à Paris. De nombreux
biographes de Chopin l’ont reprise, comme F. Hoesick (6), E. Ganche (7), H.
Bidou (8) (parce que « officiellement attestée » !). On a du mal
à comprendre que les enthousiastes de
registres paroissiaux de Brochów n’aient pas envisagé que la date inscrite
puisse être erronée. Il peut y avoir toutes sortes de raisons pour que la date
des registres ne corresponde pas à la vérité. Celle que nous avons indiquée
s’impose sans conteste comme la plus simple et la plus naturelle : la
personne qui a fourni l’information a simplement confondu deux dates qui ont un
point commun : le 22 février et le 1er mars tombent le même
jour de la semaine. Or, on se souvient souvent plus facilement du jour de la
semaine que de celui du mois*. Et si plusieurs semaines se sont écoulées depuis
les événements, comme ce fut le cas, il est facile de se tromper. C’est ce qui
a dû arriver au père de l’enfant quand il a signé l’acte de naissance et l’acte
de baptême. Il est autrement plus difficile d’accuser sa mère : pour une
mère, mettre un enfant au monde est un événement inoubliable*. En outre, toute
la famille de Chopin, y compris son père, lui fêtait son anniversaire le 1er
mars*. S’il est un argument décisif qui peut faire pencher pour cette date,
c’est bien le témoignage des intéressés et non pas un papier officiel*.
En revanche, la date de 1809 que
Julian Fontana a indiquée dans sa préface à une édition posthume d’œuvres de
Chopin (Berlin, 1855), est à l’évidence une erreur, bien qu’elle ait été
confirmée à M. Karasowski par la sœur cadette de Chopin, Izabela Barcińska, des années plus
tard. Cette date a été reprise par M. Szulc et les autres biographes de Chopin
au XIXe siècle. Or, elle est contredite non seulement par l’acte de naissance
du compositeur et par ses déclarations, mais aussi par une multitude d’autres
faits ; quoique en son temps elle ait semé une légère confusion, personne
ne la retient plus, aussi nous ne la discuterons pas.
Références données par Tadeusz Zielinski (page 813)
6. F. Hoesick, Chopin.
Sa vie et son œuvre, Varsovie, 1910-1911.
7. E. Ganche, F.
Chopin. Sa vie et ses œuvres, Paris, 1909.
8. H. Bidou, Chopin,
Paris, 1925.
9. M. Szulc, Frédéric
Chopin et ses œuvres musicales, Poznań, 1873
Notes
Page 21
* l’échange de
lettres avec Paris se prolongea : cette correspondance est
malheureusement non référencée ; s’agit-il d’une réalité ou d’une
conjecture ?
22
* l’acte de baptême :
voir page
spécifique
* il se trompait même
sur sa propre date de naissance : cet énoncé demanderait à être analysé. En tout état de cause, ce n'est pas la même chose de se tromper sur un événement vieux de plusieurs dizaines d'années, qui n'était pas référencé de façon systématique comme maintenant, où la date de naissance est utilisée assez fréquemment, et sur un événement vieux de quelques semaines. Par ailleurs, ce sont peut-être ses parents qui lui avaient transmis une date erronée (17 avril 1770 au lieu de 15 avril 1771).
* il n’attachait
visiblement aucune importance à l’exactitude des papiers administratifs :
le non respect de l’orthographe est plutôt un trait d’époque ; en ce qui
concerne la date du 22 février, il faudrait au moins connaître les procédures qui ont réglé la déclaration et le
baptême de l’enfant.
* Samuel Bogumił Linde (1771-1847)
23
* palais de Saxe :
24
* (bataille de) Leipzig : 16 au 19 octobre 1813
795
* le témoignage de
Chopin : bien entendu, nul ne peut témoigner sur sa propre date de
naissance ; les déclarations de Chopin sur sa date de naissance n’ont
d’intérêt qu’en tant que relais de la tradition familiale : elles n’y
ajoutent rien.
*Fétis : François-Joseph
Fétis (1784-1871) ; voir page
spécifique.
* on se souvient
souvent plus facilement du jour de la semaine que de celui du mois :
comprendre « on se souvient plus facilement du nom du jour dans la semaine
que de son numéro d’ordre dans le mois » ; mais ici, la différence ne
porte pas seulement sur le numéro d’ordre, elle porte aussi sur le nom du
mois ; de plus, le premier du mois est un numéro facile à retenir.
* pour une mère,
mettre un enfant au monde est un événement inoubliable : certes, mais
qu’en est-il de la date de cet événement ? La date est une donnée
relativement abstraite, qui n’intéressait pas tellement les gens à l’époque ;
cependant, les Chopin appartenant à la classe cultivée, pouvaient y être plus
sensibles.
* s’il est un
argument décisif qui peut faire pencher pour cette date, c’est bien le
témoignage des intéressés et non pas un papier officiel : il s’agit
certainement d’un argument sérieux, mais je ne suis pas sûr qu’il soit « décisif ».
Création : 11 septembre 2013
Mise à jour : 16 octobre 2014
Révision : 10 août 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 106 Tadeusz Zielinski 2 Chopin : le texte du chapitre 1
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/09/zielinski-2-chopin-texte-chapitre-1.html
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