Traduction d’un article de Henryk Nowaczyk dans la revue
polonaise Ruch Muzyczny, à propos de l'ondoiement et des actes de naissance et de baptême de
Frédéric Chopin
Classement : questions biographiques ; Chopin ; baptême
Référence
* Henryk F. Nowaczyk : « Chopin ochrzczony „z wody” w Żelazowej Woli » (« Chopin « ondoyé » à Zelazowa Wola »), dans Ruch Muzyczny (Le mouvement musical), année XLIII, n° 14 (11 juillet 1999), p. 35-39.
L’article ne concerne pas seulement l'ondoiement de Chopin (c’est-à-dire un baptême d’urgence, de date inconnue), mais étudie en détail les actes établis le 23 avril 1810 (actes de naissance et de baptême), en relation avec d'autres cas survenus dans la famille Chopin.
Henryk F. Nowaczyk
Henri Franciszek Nowaczyk est né en 1941 et a écrit de nombreux
articles sur Chopin (cf. bibliographie
du NIFC).
On trouvera ci-dessous la traduction de l'article de Ruch Muzyczny. Les
astérisques renvoient à des notes (en bas de page) ; les passages
soulignés indiquent une traduction incertaine ; le texte polonais
correspondant est donné entre crochets.
Des commentaires seront ajoutés.
Des commentaires seront ajoutés.
Quelques pages intéressantes en lien avec cet article
Quelques points de traduction
a) Dans le texte original, on trouve deux termes proches : akta et akt ; le second correspond au
français « acte » (=document), le premier désigne plutôt un registre,
un ensemble d’ « actes ».
b) Le lexique de la toute première enfance
Dans le texte polonais, on trouve les termes suivants : dziecko (« enfant »), dziecię (idem, forme ancienne), dziecina (« (pauvre) bébé »), noworodek (« nouveau-né ») et niemowlę (littéralement : « non parlant »). Ce terme correspond assez littéralement au latin infans, origine d’ « enfant » ; la traduction « nouveau-né » paraît la plus appropriée.
Dans le texte polonais, on trouve les termes suivants : dziecko (« enfant »), dziecię (idem, forme ancienne), dziecina (« (pauvre) bébé »), noworodek (« nouveau-né ») et niemowlę (littéralement : « non parlant »). Ce terme correspond assez littéralement au latin infans, origine d’ « enfant » ; la traduction « nouveau-né » paraît la plus appropriée.
c) Le lexique du baptême
* Liber baptisatorum
: Registre des baptisés
* ochrzczony z wody
: littéralement « baptisé de l’eau », donc « ondoyé » (on
trouve aussi la formule latine : « de Sola Aqua », littéralement
« de l’Eau Seule ») ; il s’agit d’un baptême donné en relative
urgence
* chrzest z ceremonii :
« baptême avec cérémonie », baptême complet
* rodzice chrzestni :
« parents de baptême », le parrain (ojciec chrzestni) et la marraine, donc « les parents
spirituels »
d) urodzony
Ce mot signifie « né », mais autrefois il servait aussi à indiquer une appartenance à la noblesse (szlachta) du fait de la naissance (szlachetnie urodzony), d'où « bien-né ».
Ce mot signifie « né », mais autrefois il servait aussi à indiquer une appartenance à la noblesse (szlachta) du fait de la naissance (szlachetnie urodzony), d'où « bien-né ».
Traduction
« Page 35
Le code civil appelé Code Napoléon entra en vigueur en 1808 sur le territoire du duché de Varsovie ; c’était une transposition du code civil en vigueur en France depuis 1804. En même temps plusieurs institutions juridiques nouvelles furent introduites, parmi lesquelles les registres d’état civil. Des règles juridiques définissaient en détail le mode d’établissement et le contenu requis de l’acte civil de naissance. Ils étaient en vigueur en droit et étaient utilisés [effectivement] lorsque Frédéric Chopin vint au monde.
Le code civil appelé Code Napoléon entra en vigueur en 1808 sur le territoire du duché de Varsovie ; c’était une transposition du code civil en vigueur en France depuis 1804. En même temps plusieurs institutions juridiques nouvelles furent introduites, parmi lesquelles les registres d’état civil. Des règles juridiques définissaient en détail le mode d’établissement et le contenu requis de l’acte civil de naissance. Ils étaient en vigueur en droit et étaient utilisés [effectivement] lorsque Frédéric Chopin vint au monde.
L’introduction des registres
d’état civil exigeait de confier la charge de la tenue des livres à un
fonctionnaire convenablement instruit et de l'informer des règles juridiques
et des normes en vigueur dans ce domaine. Dans une large mesure assurément, particulièrement
dans les communes rurales, on utilisait les services du clergé*. Dans chaque
paroisse était tenu depuis des siècles le Liber baptisatorum, dans lequel on
inscrivait les certificats de baptême ; les prêtres disposaient donc de l’expérience
appropriée.
Dans la commune de Brochów, la
tenue du registre d’état civil incombait au curé, l’abbé Jean Duchnowski, qui
dans les actes de naissance établis de sa main se définissait comme
« curé de Brochów, exerçant la charge de fonctionnaire de l’état civil de la
commune-paroisse de Brochów,
Note
* les services du clergé : l'état civil a été introduit le 4 mai 1808, et les fonctionnaires de l'état civil institués le 5 mai ; un décret du 23 février 1809 stipule qu'en l'absence d'une personne laïque compétente dans la commune (gmina), le curé (proboszcz) de la paroisse (parafia) est chargé de la fonction (voir la page Louis Lubliner 2 Concordance des codes français et polonais (1846) qui donne le texte traduit en français de ce décret)
* les services du clergé : l'état civil a été introduit le 4 mai 1808, et les fonctionnaires de l'état civil institués le 5 mai ; un décret du 23 février 1809 stipule qu'en l'absence d'une personne laïque compétente dans la commune (gmina), le curé (proboszcz) de la paroisse (parafia) est chargé de la fonction (voir la page Louis Lubliner 2 Concordance des codes français et polonais (1846) qui donne le texte traduit en français de ce décret)
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du district de Sochaczew dans le département de Varsovie ». C’est ainsi que, dans l’acte de naissance de Frédéric Chopin, l’abbé Jean Duchnowski indique sa compétence administrative .
Convaincu que la forme et la
teneur de l’acte de naissance du compositeur reflètent les exigences définies
par les règles juridiques en vigueur à cette époque, j’ai effectué une analyse
de ce document qui m’a amené aux observations suivantes.
Il n’était permis de faire des
inscriptions dans les registres d’état civil qu’en langue polonaise. L’acte
débutait par la date de son établissement avec l’indication de l’heure de sa
réalisation. Les dates et tous les nombres indiqués dans le document étaient
inscrits en toutes lettres, indubitablement dans le but d’éviter une erreur
lors de la rédaction du texte de l’acte, ainsi que, dans le futur, lors de
l’établissement de copies ou d’extraits de l’acte. Celui de Frédéric Chopin
indique « En l’an mil huit cent dix, le vingt-troisième jour du mois
d’avril à trois heures de l’après-midi… ».
Dans le but d’enregistrer la
naissance d’un enfant, le père devait « se présenter » en personne devant
le fonctionnaire de l’état civil (ou celui qui « exerçait la charge »), avec le nouveau-né et deux témoins, exclusivement des hommes.
Celui qui tenait le registre d’état civil était chargé de noter – sur la base
des déclarations orales des « personnes présentes » – les noms et prénoms du père et des témoins,
leur âge ainsi que leur lieu de résidence. Dans l’acte de naissance de Frédéric
Chopin, il est écrit : « s’est présenté Nicolas Chopin, Père, âgé de
quarante ans, domicilié dans le village de Zelazowa Wola », et
l’établissement de l’acte et les actions afférentes ont été réalisés « en
présence de Joseph Wyrzykowski, économe, âgé de trente-huit ans, et de Frédéric
Geszt, qui a achevé sa quarantième année, tous deux domiciliés dans le village
de Zelazowa Wola ». La crédibilité des témoins dépendait de leur accession
à la capacité juridique (d’où l’enregistrement dans le document de leur âge),
de leur sexe masculin (les femmes avaient une capacité juridique limitée) et du fait d’habiter dans la localité où habitait le père du nouveau-né et où
celui-ci était venu au monde (ce qui fondait légalement la présomption qu’ils
connaissaient les circonstances de la venue au monde de l’enfant et les données
nécessaires à l’établissement de l’acte de naissance).
La condition nécessaire à
l’établissement de l’acte d’état civil était la « monstration » [okazanie] physique de l’enfant à celui qui « exerçait la charge de fonctionnaire de l’état civil », et ceci de façon à
lui donner la possibilité d’identifier le sexe du nouveau-né. Monsieur Nicolas
Chopin – comme l’écrit l’abbé Duchnowski – « nous a montré un enfant de
sexe masculin ».
Le père était chargé de faire un
« témoignage » oral, dont la teneur devait contenir les informations
suivantes : quand et où l’enfant « montré » était né (date précise, ainsi que l’heure de la naissance), de qui il était
« issu » (sur ce point, il convenait de confirmer sa paternité,
d’indiquer le prénom et le nom de jeune fille de la mère du nouveau-né et de donner
son âge, et aussi d’attester s’il s’agissait d’un couple légitime).
Dans ce « témoignage »,
il convenait également d’indiquer le ou les prénoms que le père souhaitait
donner à l’enfant. Dans l’acte de Frédéric Chopin, il est noté que le père
(« domicilié dans le village de Zelazowa Wola ») a témoigné que
l’enfant montré « est né dans sa maison le vingt-deux février à six heures
du soir de l’année en cours […] qu’il est issu de lui-même et de Justyna
Krzyzanowska, âgée de vingt-huit ans, son épouse, et que son souhait est de lui
donner les deux prénoms de Frédéric
François ».
Concrètement, cela s’est sans
aucun doute passé de la façon suivante : Nicolas Chopin [pan
Mikołaj] répondait aux questions qui lui étaient successivement posées,
et le curé de Brochów élaborait au fur et à mesure le texte du
« témoignage » sur la base de la réponse et la reportait sur le
registre.
La condition obligatoire de
validité légale de l’acte était la lecture à haute voix de sa teneur au père
et aux témoins par le fonctionnaire qui l’établissait (« exerçant la
charge de fonctionnaire de l’état civil »), ce pourquoi il était aussi
chargé – sous peine d’invalidité de l’acte de naissance – de noter la
réalisation de cette action dans l’acte en cours de réalisation. Il devait
aussi demander au père de l’enfant et aux témoins, s’ils savaient lire et
écrire. L’abbé Duchnowski a noté dans l’acte de Frédéric Chopin :
« le père et les deux témoins, après lecture du présent acte, ont déclaré
publiquement qu’ils savent écrire.
Abbé Jean Duchnowski, curé de
Brochów, exerçant la charge de fonctionnaire de l’état civil. Nicolas Chopin,
père. » (1)
Pour apposer sa signature, Nicolas
Chopin [pan Mikołaj] dut
remettre le nouveau-né à l’une des
personnes qui l’accompagnaient. L’exigence d’apposer une signature ne concernait
sans doute pas les témoins (même s’ils en étaient capables), il suffisait
qu’ils approuvent la teneur de l’acte qui leur était lu sans faire
d’observations ni de corrections.
La « monstration »
physique du nouveau-né de façon à révéler son sexe et la teneur du
« témoignage » du père étaient des actions juridiques constitutives
de l’identité et de la capacité juridique de l’enfant depuis la date et l’heure
de sa naissance. Et la lecture par l’officier d’état civil de la teneur de
l’acte en cours au père de l’enfant et aux témoins était une obligation
formelle pour garantir la crédibilité de la « monstration » et du
« témoignage » ainsi que l’adéquation de l’inscription dans le
registre d’état civil.
Les exigences formelles indispensables
lors de l’établissement d’un acte de naissance avaient une importance considérable
dans le monde du Code Napoléon, particulièrement pour les questions touchant
les droits de propriété de l’enfant. Les fonctionnaires ou « exerçant la charge de fonctionnaire de l’état civil » devaient impérativement être attentifs
aux détails dans ce domaine.
Je me propose de confronter les
résultats de mon analyse avec les actes normatifs concernant les registres
d’état civil en vigueur en 1810. Ils ont certainement été conservés aux
Archives principales des Registres anciens, et peut-être ont-ils même été
publiés [Zapewne zachowały się one w Archiwum Głównym Akt Dawnych, a być może są już nawet opublikowane.]. Mon impression est que l’acte de
naissance de Frédéric François Chopin
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a été correctement établi du point de vue formel, que les exigences énoncées
dans les règlements en vigueur ont été satisfaites et qu’un soin diligent a
été apporté pour que l’acte puisse être reconnu comme véridique et n’éveille
pas de suspicions juridiques.
La réalisation des actions
officielles a eu lieu sans obstacle (il n’est pas noté dans l’acte d’obstacles
ou d’interruptions pendant son établissement), dans une atmosphère de gravité, que
souligne le fait qu’un document officiel soit réalisé dans le presbytère par le
curé, agissant en tant que fonctionnaire de l’Etat.
Après la réalisation préalable au
presbytère de Brochów de l’inscription au registre d’état civil (je pense
qu’une telle succession pouvait être une exigence juridique*), le même jour – 23
avril 1810 – mais environ une heure plus tard (sans doute à quatre heures de
l’après-midi), eut lieu dans l’église St Roch la cérémonie de baptême du fils
de Nicolas Chopin [pana Mikołaja Chopina] et de Justyna Tekla Chopin née Krzyzanowska .
Compte tenu de la distance de
Zelazowa Wola à Brochów et du mauvais état de la route, parcourue en voiture à
cheval, le petit Frytsek (Frycek) a certainement été emmené dans un berceau
spécial en osier avec des volants dans lesquels on transportait alors les nouveau-nés.
Un berceau avec ?????? et une couette ornée [... małego Frycka wieziono z pewnością w specjalnym wiklinowym koszyczku obszytym falbankami, w jakich wówczas przewożono niemowlęta. Koszyczek z becikiem i ozdobną kołderką ...] facilitait aussi au père
l’action de « monstration » du nouveau-né durant la rédaction de
l’acte de naissance.
Quand, après la sortie du
presbytère, on eut retiré le bébé du berceau et qu’on l’eut remis à sa
marraine, le groupe des gens venus de Zelazowa Wola entra dans l’église. La
cérémonie fut célébrée par le vicaire, l’abbé Joseph Morawski. Après la
cérémonie, il inscrivit en latin sur le Liber baptisatorum le certificat
de baptême, qui contient un détail très intéressant, auquel jusqu’à présent
on n’a pas prêté attention. Traduite en polonais, la teneur du certificat
dit :
« Nr 2. 23 avril. Moi, comme
mentionné ci-dessus, ai accompli les rites sur un nouveau-né ondoyé, aux deux prénoms
de Frédéric François, né le 22 février de l’Honorable Nicolas Choppen,
Français, et de Justyna née Krzyzanowska, époux légitimes.
Parents spirituels :
l’Honorable François Grembecki du village de Ciepliny et l’Honorable demoiselle
Anne Skarbek*, comtesse de Zelazowa Wola. » (2).
De cette enregistrement, il
résulte que le nouveau-né avait été
précédemment « ondoyé », et que, au moment du baptême « de Sola
Aqua », il avait déjà ses deux prénoms. Dans les certificats de baptême
portés dans le Liber baptisatorum après l’accomplissement de la cérémonie dans
l’église, est toujours placée une mention plus ou moins détaillée de la
réalisation antérieure d’un « ondoiement ». Evidemment, si tous les
rites avaient été accomplis dans l’église et que l’enfant n’ait pas été antérieurement
« ondoyé », une telle mention n’était pas mise dans son certificat
(on peut comparer avec celui d’Isabelle Chopin, née une année après Frédéric,
en 1811) (3).
Le baptême « de Sola
Aqua » se déroulait habituellement au domicile des parents du nouveau-né [noworodek] peu après sa venue au monde,
s’il existait des craintes fondées que l’enfant ne puisse pas survivre. L’acte
d’ « ondoiement » était réalisé sans le concours des parents
spirituels. Le prêtre de la paroisse locale baptisait par
« ondoiement » l’enfant du ou des prénoms choisis par les parents.
Quand les craintes pour l’enfant étaient passées, et que son état de santé
l’autorisait, le baptême « de Sola Aqua » était complété par les
cérémonies dans l’église (baptême avec « cérémonie ») avec le
concours
Notes
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Notes
* une telle succession pouvait être une exigence juridique : c'est ce qu'indique l'article 2 du décret mentionné
* Anne Skarbek (Anna Skarbkowna, 1793-1873) : voir la page La famille Skarbek
des parents spirituels. Habituellement (mais il y a aussi des exceptions),
c’est seulement à ce moment que le certificat de baptême était inscrit sur le Liber
baptisatorum avec la mention de l’« ondoiement » réalisé antérieurement.
Sur la base du fait noté par
l’abbé Joseph Morawski, qu’il avait accompli « les rites sur un nouveau-né
ondoyé, aux deux prénoms de Frédéric François », nous pouvons avoir l‘assurance
absolue que le nouveau-né des époux Chopin (państwo Chopinowie) avait antérieurement été « ondoyé »
et avait déjà les prénoms de Frédéric et François. Il résulte de cela que lors
de la venue au monde de leur fils, ils ont dû nourrir des craintes sérieuses à
propos de la survie du bébé. Aussi, demandèrent-ils au prêtre de Brochów de
venir à la dépendance du manoir de Zelazowa Wola et de donner à ce faible nouveau-né,
certainement âgé de seulement quelques jours, le baptême « de Sola
Aqua ».
*
*
On dispose d'une documentation beaucoup plus riche est à propos du baptême de la plus jeune sœur du compositeur, la maladive
Emilie, qui ne donnait pas, elle non plus, de grands espoirs de survie et fut
aussi baptisée « de Sola Aqua ». Je cite des extraits des documents
évoqués, étant donné que, grâce à eux, il est possible d’expliquer plus
profondément le sens de la mention
lapidaire qui se trouve dans le certificat de baptême de Frédéric Chopin.
Le 15 décembre 1812, pour leur
petite fille âgée d’un peu plus de trois semaines, les époux Chopin [państwo
Chopinowie] sollicitèrent un prêtre de la Congrégation des
Missionnaires* près l’église Ste Croix de la rue du Faubourg de Cracovie. Le
prêtre accomplit l’« ondoiement » d’Emilie, qui donnait de faibles
signes de vie, dans le logement des époux Chopin, à l’époque au Palais de Saxe.
Certainement convaincu que la petite fille mourrait sous peu, le prêtre
inscrivit dans le Liber baptisatorum ce baptême « de Sola
Aqua » effectué au Palais de Saxe le 15 décembre. La teneur du certificat
rédigé en latin, traduit en polonais, est la suivante :
« Moi, Théodore Borysiewicz,
Prêtre de la Congrégation des Missionnaires, ai baptisé (de l’eau seule) du prénom
d’Emilie un enfant né le 20 novembre, fille de l’honorable Monsieur Nicolas
Chopin, professeur au Lycée, et de Justyna née Krzyzanowska, époux
légitimes… » (4).
Malgré les pronostics
pessimistes, l’état de santé d’Emilka s’améliora progressivement – mais sur un
très long temps – et c'est deux ans et demi plus tard (!), le 14 juin 1815, qu'eut lieu son baptême « avec cérémonie » dans l’église Ste Croix. Cette fois
encore, un certificat de baptême fut inscrit au Liber baptisatorum, qui,
traduit du latin en polonais, a la teneur suivante :
« Moi, Martin Perkowski,
Prêtre de la Congrégation des Missionnaires, ai accompli les cérémonies sur un petit enfant portant le prénom d'Emilie, baptisée jadis par le révérend préfet de
l’église en fonction cette année-là, fille du bien-né [urodzony] Monsieur Nicolas
Chopin et de Justyna Krzyzanowska, époux légitimes, née le 22 novembre 1812.
Spirituels : Xavier Zboinski*
et Françoise Dekert*. » (5)
Nous avons donc ici un cas où deux inscriptions distinctes ont été portées au Liber baptisatorum.
L’inscription du certificat de simple « ondoiement » avait
certainement été causée par la conviction du prêtre que l’enfant ne pourrait
pas attendre le baptême « avec cérémonie ». Cette conviction est
compréhensible puisqu’Emilka, pendant très longtemps après son
« ondoiement », n’a pas montré de signes évidents de vitalité, et que
la reprise de forces et l’atteinte d’un état de santé permettant la tenue d’un
baptême « avec cérémonie » n'a pas duré moins de deux ans et demi.
Remarquons qu’après le baptême
« avec cérémonie » est noté le baptême antérieur
(« ondoiement »), sans cependant que soient indiqués la date et le
mois où cela avait du lieu (la date est remplacée par le vague « jadis »),
et sans que soit donnés le nom ni le prénom du prêtre qui l’avait fait (toutefois
une information donnée permettrait son identification : « préfet de
l’église en fonction cette année-là »). L’abbé Martin Perkowski,
accomplissant les rites sur Emilka dans l’église Ste Croix, n’avait donc pas
relu la précédente inscription du 15 décembre 1812 au Liber baptisatorum. Il
indique aussi une autre date pour la naissance d’Emilka (l’abbé Perkowski écrit
« le 22 novembre », alors que lors de l’ « ondoiement » la
date notée était le « 20 novembre »). Et l’« honorable Monsieur
Nicolas Chopin » est promu au rang de noble, lui étant reconnu le titre de
« bien-né ».
Par la suite, la teneur des
inscriptions au Liber baptisatorum après le baptême « avec
cérémonie » de nouveau-nés précédemment « ondoyés » devinrent
plus précises et plus riches. Les deux enfants de Louise Chopin* et Kalasanty
Jedrzejewicz – leur fils premier né Henri Bronislaw Louis et leur fille Louise
Madeleine – ont aussi été d’abord « ondoyés », puis baptisés
« avec cérémonie ». Cependant il n’y a pas eu d’inscription au Liber
baptisatorum de certificats séparés de leur baptême « de Sola Aqua ».
A la place, les certificats établis après le baptême « avec cérémonie »
contiennent des informations précises sur la date où l’« ondoiement » avait eu lieu et sur le prêtre qui l’avait fait. Je
cite ici un extrait du certificat de baptême du fils Jedrzejewicz, – Henri Bronislaw Louis, né « le dix-huit
Août de l’Année en cours [1833] à deux heures de la nuit » – inscrit sur
le Liber baptisatorum après le baptême « avec cérémonie » :
« Pour le saint Baptême, à
cet enfant précédemment seulement ondoyé, le vingt-deux septembre de l’année en
cours [1833], par l’abbé Auguste Sieklucki, et ce jour (6 décembre 1833
« à six heures du soir » –HFN) réalisé avec Cérémonie par l’Abbé
Thaddée Comte Lubienski Chanoine Cathédral de Cracovie, on été donnés les
Prénom de Henri Bronislaw Louis… » (6).
Les exemples ci-dessus (et beaucoup
d’autres) montrent que la teneur des certificats de baptême des enfants qui
avaient antérieurement été baptisés « de Sola Aqua » s’enrichissait
progressivement.
*
Malgré la pauvreté de la teneur
du certificat de baptême de Frédéric François Chopin, la mention qui s’y trouve
montre de façon certaine qu’il avait été « ondoyé » avec les noms
choisis par ses parents peu après la naissance sans aucun doute à cause de
leurs craintes qu’il ne réussisse pas à vivre. Par contre, l’accomplissement
des rites eut lieu quelques semaines plus tard, dans l’église St Roch de
Brochów (il n’y au aucun doute à ce sujet (7)). Le baptême « avec
cérémonie »
Notes
* un prêtre de la Congrégation des Missionnaires (Zgromadzenie Misjonarzy) : c’est-à-dire un lazariste, membre de la Congrégation des Missions fondée par Saint Vincent de Paul
* Xavier Zboinski (Franciszek Ksawery Zboiński, 1795-1853) :
Un « Xavier Zboinski » apparait en 1835 dans la liste des émigrés dont les biens sont confisqués parce qu’ils n’ont pas profité de l’amnistie offerte par le tsar (décret du 2 avril 1835. La liste se trouve dans le Journal universel de Varsovie, 1835, p. 1011, citée par Joseph Bem, 1837, p. 491 et suivantes ; Zboinski : p. 515).
Les Zboinski semblent être une famille noble de Prusse occidentale.
* Françoise Dekert : voir la page La famille Dekert
* Louise Chopin (Ludwika, 1807-1855) : sœur aînée de Frédéric (voir page Les familles Chopin), épouse de Joseph Kalasanty Jedrzejewicz (Józef Kalasanty Jędrzejewicz, 1803-1853 ; son prénom vient du nom de l'Espagnol José de Calasanz, fondateur de l'ordre des Piaristes)
39
eut lieu le lundi 23 avril 1810. C’était le jour de la Saint Adalbert [Wojciech], patron
de la Pologne, et aussi le jour de la fête de Pâques, tardive en 1810. Quand, dans deux voitures, on fut revenu avec le nouveau-né de Brochów à Zelazowa Wola,
de jeunes paysannes* purent ?? des robes (?) ornées (?) depuis le matin
par les jeunes gens « ????? » [... wysuszyć odświętne kiecki po urządzonym im z rana przez chłopaków "śmigusie-dyngusie".].
L’inscription établie dans le Liber
baptisatorum de Brochów par le vicaire Joseph Morawski a un caractère de note
laconique, qu’il a composée en personne et écrite de sa propre main dans le
registre (« Moi, comme ci-dessus … »). A coup sûr, la qualification
de Nicolas [pan Mikołaj] « Choppen » comme
« Français » ne résulte pas de ce que le père du nouveau-né s’était
présenté de cette façon, mais de ce que le prêtre connaissait l’origine du
précepteur du manoir de Zelazowa Wola et savait qu’on parlait couramment dans
la paroisse du mari de Justyna [pana
Justyna], dont le nom [Chopin] ne se prononçait pas conformément à l’orthographe*.
Le texte du certificat de baptême montre également que l’abbé Morawski n’avait
pas profité pour le rédiger de l’acte civil de naissance établi quelques dizaines
de minutes avant, puisque le nom du père y est donné avec le libellé
« Chopyn » et non « Choppen ».
Dans les certificats de baptême
de l’époque antérieure à l’introduction des actes d’état civil, apposaient leur
signature les parents spirituels ainsi que des personnes « assistant [à la
cérémonie] », et par conséquent le document était établi « à leur
connaissance » (w ich "przytomności"). De telles souscriptions sont
absentes dans le certificat de baptême de Frédéric François Chopin. Il conviendrait
de vérifier – par comparaison avec d’autres inscriptions un peu antérieures ou
postérieures du Liber baptisatorum [de Brochów] – si le certificat de baptême
de Chopin constitue une exception, ou si simplement on n’avait pas ici
l’habitude de ne pas mettre dans le registre les signatures des parents
spirituels et des personnes assistant à la cérémonie. J’ai implicitement admis
que – malgré l’absence de leurs signatures sur le certificat – les parents
spirituels étaient présents dans la sacristie pendant l’inscription au Liber
baptisatorum de données qu’il était difficile au prêtre de citer de mémoire
(même s’il connaissait bien les noms des parents du nouveau-né et de ses
parents spirituels ainsi que le nom des localités d’où ils venaient, il fallait
tout de même certainement que quelqu’un lui indique ou lui rappelle la date de
la naissance de l’enfant).
La mention sur l’accomplissement
des rites sur « un nouveau-né ondoyé, aux deux noms de Frédéric
François », ne contient malheureusement pas d’informations sur où, quand et
par qui il a été « ondoyé ». Nous pouvons seulement essayer de
trouver des réponses à ces questions sur le fondement d’autres indices.
Je pense que – comme pour Emilie,
« ondoyée » par un prêtre au domicile de M. et Mme Chopin dans le
palais de Saxe – Frédéric François fut aussi ondoyé au domicile des parents,
[situé] dans une dépendance du manoir de Zelazowa Wola. Le voyage de Zelazowa
Wola à Brochów était trop dangereux pour un nouveau-né de santé fragile. La
distance qu’il fallait parcourir en voiture, la route défoncée et le dégel, le
mauvais temps de la fin de l’hiver ainsi que l’état de santé de l’enfant
excluaient un voyage à l’église et à coup sûr, les époux Chopin envoyèrent la
voiture chercher le prêtre afin qu’il « ondoie » le petit garçon à
leur domicile. J’ai connaissance de quelques exemples documentés d’accomplissement d’un
baptême « de Sola Aqua » à l’église : ils concernent seulement
des situations dans lesquelles le domicile des parents du nouveau-né [noworodek] se trouvait être proche du
sanctuaire (dans la même localité) (8). Est-ce le curé qui a fait l’« ondoiement » ou bien le vicaire de l’église de Brochów ? Je
signale deux indices parlant en faveur du vicaire (9). Le 23 avril, le curé
s’est borné à l’accomplissement des « fonctions d’officier de l’état
civil » qui lui avaient été confiées, bien que, sans aucun doute, il aurait
aussi pu administrer le baptême « avec cérémonie ». Peut-être que
l’abbé Jean Duchnowski savait que l’accomplissement des rites revenait au
prêtre qui avait précédemment administré le baptême « de Sola Aqua » au
nouveau-né (donc au vicaire). Par contre, l’abbé Joseph Morawski a considéré comme
inutile d’indiquer son nom en ce qui concerne la mention de l’« ondoiement
du nouveau-né » (d’autant que dans le certificat de baptême de Chopin, il
n’a nulle part cité son propre nom, renvoyant de futurs chercheurs à sa
précédente inscription ou à une inscription antérieure dans le Liber
baptisatorum – « Moi, comme ci-dessus… »).
Je ne peux pas publier ici mes
recherches sur la date de l’ « ondoiement » de Frédéric
François Chopin. Elles exigent la prise en compte de beaucoup d’aspects, et je
présenterai donc cette question dans un autre article. Je pense qu’il
sera aussi nécessaire de faire une analyse préalable de la teneur du texte latin du certificat
de baptême du compositeur, du point de vue linguistique et à la lumière
du droit canonique. Cela permettra – entre autres – de vérifier si ce document
répond aux exigences formelles nécessaires pour accepter que François Grembecki
ait agi comme parrain « per procura* » – avec le mandat de Frédéric
Comte Skarbek, comme cela est admis depuis un certain temps dans les
biographies du compositeur.
Je me permets cependant
d’exprimer ma conviction qu’il vaut la peine de prendre en compte dans les
discussions au sujet de la « vraie » date de naissance de Frédéric
Chopin, la mention placée dans son certificat de baptême d’un « nouveau-né
ondoyé ». Peut-être aura-t-elle pour effet de produire un tournant dans le
cours de cette discussion.
Henri F. Nowaczyk
(1) Selon le contenu du document
publié par A. Czartkowski et Z. Jezewska dans le livre Frédéric Chopin, PIW,
Varsovie, 1975, p. 5.
(2) Ibidem, p. 6
(3) J. Siwkowska, Nocturne, ou la famille de Frédéric Chopin
et Varsovie dans les années 1832-1881, KiW, Varsovie, 1986, t. I, p. 335, Annexe
n° 27 et pp. 336-337, Annexe n° 28.
4) J. Siwkowska, op. cit., p.
297, Annexe n° 1 et p. 298, Annexe n° 2.
5) J. Siwkowska, op. cit., p.
299, Annexe n° 3.
6) J. Siwkowska, op. cit., p.
329-330, Annexe n° 22 (photocopie-illustration n° 51).
7) Dans une lettre écrite à
Frédéric au printemps 1832, Nicolas Chopin, l’informant des préparatifs pour le
mariage de sa fille Louise avec Kalasanty Jedrzejewicz, rappelait :
« Le mariage se tiendra là où tu as été baptisé, c’est pour moi très
agréable… ». Le mariage eut lieu dans l’église St Roch à Brochów.
8) Voir par exemple dans l’Hagiographie polonaise, Librairie St
Adalbert, Poznan, Varsovie, Lublin, 1971, t. I, p. 228, entrée
« Chmielowski Adam ». Amené à l’autel, Frère Albert*, né le 20 août
1845 à Igolomia, fut seulement « ondoyé » dans l’église paroissiale
le 26 août (« Cérémonie du saint baptême réalisée en 1847 à Varsovie dans
l’église Notre Dame. Alors fut établie pour Chmielowski un acte avec la date de
naissance erronée de 1846 au lieu de 1845 »)
9) On manque d’indices qui
pourraient fonder l’hypothèse que l’ « ondoiement » a été accompli
pour Chopin par une personne laïque. De tels cas avaient lieu quand le nouveau-né
(noworodek) se trouvait après sa
venue au monde en état d’agonie et que les proches avaient perdu l’espoir
qu’il puisse attendre l’arrivée du prêtre. La situation n’était certainement pas
aussi grave que cela après la naissance de Frédéric Chopin, puisqu'il reprit très vite des
forces et que le voyage
en voiture à l’église paroissiale de Brochów pour le baptême « avec
cérémonie » put avoir lieu au bout de seulement quelques semaines.
Notes
Notes
* jeunes paysannes : la phrase se réfère à une coutume de Pâques.
* le mari de Justyna, dont le nom ne se prononçait pas conformément à l’orthographe : lu selon les conventions polonaises, le mot « Chopin » se lirait « Khopine » ; une prononciation approximativement correcte est donnée par l’orthographe polonaise « Szopę »
* per procura : par procuration
* Frère Albert (Brat Albert) : nom en religion d’Adam Chmielowski (1845-1916), fondateur de l’ordre franciscain des Albertins (cf. notice Wikipédia)
Traduction publiée avec l'autorisation de la revue (27 novembre 2013. Référence de l'article : „Ruch Muzyczny” vol. XVII (1999) No. 14 pp. 35-39) et de l'auteur (27 novembre 2013)
A venir
Commentaires
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Création : 12 novembre 2013
Mise à jour : 4 novembre 2014
Révision : 2 août 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 127 L'ondoiement de Chopin (article de Ruch Muzyczny)
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/11/ruch-muzyczny-ondoiement.html
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