vendredi 31 octobre 2014

170 Le passeport de 1837 : Analyse 2 (« de parents français »)

Analyse du contenu du passeport de Chopin
Deuxième partie : à propos de la formule « de parents français »


Classement : biographie ; documents ; Frédéric Chopin




Ceci est la suite de la page Le passeport de 1837 de Chopin Analyse.

J’étudie ci-dessous en détail la formule : « natif de Varsovie de parents français », ainsi que la mention sur l’âge de Chopin indiqué sur ce passeport : « 26 ans ». La formule relative aux « parents français » a fait couler pas mal d’encre, constituant pour certains une preuve catégorique de la nationalité française de Chopin. Elle pose en réalité pas mal de questions. Je rappelle qu'elle n'a pas été portée par le préfet de police, Gabriel Delesssert, mais par un autre fonctionnaire (non identifié), le rédacteur des parties manuscrites.

A propos du lieu de naissance et de l'âge de Chopin
Tout d’abord, Chopin n’est pas né à Varsovie et il n’y a aucun doute qu’il savait être né à 40 km de là. Il est évident que dans la conversation mondaine ou courante, une telle approximation était acceptable, pour simplifier les choses aux Français qui connaissaient peu de choses de la Pologne, mais pas dans un document officiel.

Cela amène à s’interroger sur les conditions concrètes de la rédaction du passeport.
Cette approximation montre que le rédacteur n’a pas eu sous les yeux de traduction de l’acte de naissance de Chopin (il existait un bureau ad hoc à la Préfecture de police, dans le Quatrième bureau, et il est évident que le polonais était une langue « incontournable » à cette époque, vu le nombre de réfugiés), et qu'il n'a pas interrogé Chopin lui-même, sinon il aurait écrit « natif de Brochów (Pologne) » et non pas « natif de Varsovie ». Probablement, n’aurait-il pas écrit non plus « 26 ans » au lieu de 27.

Cette erreur montre que la rédaction a eu lieu en l’absence de Chopin, car celui-ci n’aurait pas laissé passer une telle erreur sur son âge, s’il l’avait connue en temps utile (après coup, cela n’a pas une très grande importance).

A propos de la nationalité française de Justyna Chopin
En second lieu, si on peut admettre que Chopin ait pu parler, en quelque circonstance que ce soit, de son père comme d’un Français, ou de quelqu’un originaire de France, il est totalement invraisemblable qu’il ait lui-même attribué cette nationalité à sa mère. 

La formule « de parents français » est le fait du rédacteur, qui, ayant connaissance de l’origine française de Nicolas Chopin, le considère comme français, et attribue spontanément la nationalité française à son épouse, en se fondant sur ce qu’il connaît (le droit français, le Code Napoléon), sans s'interroger sur la situation juridique réelle de Justyna Chopin. 

A propos de l’origine française de Nicolas Chopin
Le fait que Nicolas Chopin était originaire de France a probablement été connu dans les services s’occupant des étrangers peu après l’arrivée de Chopin en France. Dans son livre sur Chopin, Marie-Paule Rambeau rapporte en effet, qu’à la fin de 1831 (il est arrivé en septembre), il a obtenu un permis de séjour (voir la page Sur un permis de séjour de Chopin en 1831 et sur le comte Rambuteau) lui permettant de rester à Paris. 

Il s’agit peut-être du permis délivré (en principe) à tout étranger arrivé en France, quelle que soit la raison de sa venue (voir la page Les passeports en France au XIXème siècle), mais dans le cas de Chopin, il aurait bénéficié d’un appui de collègues musiciens, notamment de Ferdinand Paër, personnalité bien installée en France à cette époque, afin qu’il puisse rester à Paris.

D’après une lettre de Paër à un collègue*, Chopin a alors été enregistré comme « né de père français », sans doute un moyen de le distinguer favorablement. En l’occurrence, ce serait Paër qui aurait fait part de cette notion à l’administration plutôt que Chopin.

D’autre part, à la fin de 1831, le comte de Rambuteau cite Chopin dans une lettre* au directeur de l’Opéra : « Plusieurs personnes qui portent un vif intérêt à Mr. Chopin, artiste polonais distingué, … », sans du reste lui attribuer la nationalité française. Marie-Paule Rambeau fait sans doute une erreur en écrivant que le permis vient de la préfecture de la Seine et en donnant à Rambuteau le titre de « préfet » (origine de la confusion), étant donné qu’il n’est devenu préfet de la Seine qu’en 1833 ; en 1831, il n’est que député. Mais cela montre que la notoriété de Chopin va déjà au-delà du milieu strictement musical.

Mais, pas plus que son propre acte de naissance ou de baptême, Chopin n’a produit l’acte de baptême de son père (puisque manifestement il ne savait pas qu'il était né à Marainville) seule preuve administrative de la réalité de son origine française, d’un point de vue strictement administratif, les mentions « de père français » (1831) et « de parents français » (1837) n'ont pas de fondement solide.

Notes 
*Ferdinand Paër est alors directeur de la musique du roi ; à Vienne, Chopin avait  obtenu du musicien Malfatti une lettre de recommandation auprès de Paër.
*Lettre citée par Marie-Paule Rambeau, Chopin l’Enchanteur autoritaire, p. 250
*Ibidem, p. 277.

Conclusion
L’énoncé « de parents français », en l’absence de toute référence à des documents (les actes de naissance du père et du fils, des textes de loi polonais) n’a aucune valeur juridique, pas plus que n’en avait la notation « Français » dans l’acte de baptême de Frédéric Chopin, et que n’en aurait eu la même notation dans son acte de naissance. Ce n’est pas une absurdité, mais il n’y a pas lieu de faire comme si cette remarque constituait une réponse documentée à une demande expresse de Chopin de se faire reconnaître la nationalité française, ou comme s’il s’agissait de l’expression d’une volonté administrative de naturaliser Chopin français, ou même de le « rétablir » dans sa « vraie nationalité », sans qu’il le sache.
Cela fait plutôt partie des marques de déférence : le rédacteur lui fait l’honneur de lui signaler que ses racines françaises ne lui sont pas inconnues, qu’il sait qu’il n’est pas tout à fait comme les autres Polonais de Paris. En englobant Justyna Chopin, il a probablement suscité une certaine surprise chez celui qu’il voulait sans doute flatter.



Création : 31 octobre 2014
Mise à jour : 7 août 2016
Révision : 11 juillet 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 170 Le passeport de 1837 : Analyse 2 (« de parents français »)
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2014/10/170-le-passeport-de-1837-analyse-2-de.html











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