Quelques informations sur l'article de Biruta Lewaszkiewicz-Petrykowska « Le Code Napoléon et son héritage en Pologne » :
analyse et commentaires
Classement : histoire du droit en Pologne
Ceci est une suite de la page A
propos d'un article sur le Code Napoléon en Pologne dans laquelle je
présente l’auteur et l’ouvrage où se trouve cet article
Référence
*Biruta Lewaszkiewicz-Petrykowska, « Le Code Napoléon
et son héritage en Pologne », dans Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré
Mélanges offerts à Jacques Vanderlinden, Bruxelles, Bruylant, 2004, pages
77-100
Présentation de l’article
Il comporte deux parties :
1 L’histoire (pages 77 à 89)
2 Les traces du Code Napoléon dans le droit civil polonais
en vigueur (pages 90 à 100)
A La responsabilité civile (page 90…)
B Le transfert de propriété (page 95…)
La partie qui nous intéresse est la première.
Résumé de la première partie
L’auteur évoque les circonstances historiques de
l’introduction du Code Napoléon dans le duché de Varsovie (cf. page Le
Code civil polonais de 1808), puis les réactions généralement défavorables, les milieux dirigeants polonais auraient préféré le rétablissement du droit d’avant 1795 et la noblesse polonaise
considérant le Code civil comme trop révolutionnaire. Son introduction ne trouvait
d’appui que parmi les « radicaux », dits « jacobins polonais* »,
qui y voyaient un moyen de transformation sociale et politique.
Les principaux motifs d’opposition étaient
1) la « question paysanne » et le principe de
l’égalité devant la loi et de la liberté personnelle ;
2) le régime des hypothèques ;
3) la sécularisation de l’état civil.
[je ne développe pas ces points, sur lesquels l’article est
trop court pour qu’il soit intéressant de le résumer].
Concrètement, l’introduction (1er mai 1808) a été précédée par un certain nombre de réformes sous la direction du ministre de la Justice, Félix Lubienski* : création d’une Ecole de droit à Varsovie, traduction en polonais, réorganisation des tribunaux, réforme de l’état civil.
Ni l’occupation du duché en 1813 ni la création du royaume
de Pologne en 1815 n’ont entraîné l’abolition du Code Napoléon, malgré de fortes
pressions au sein du groupe russophile dirigé par Adam Czartoryski* (dont l’objectif était
de rassembler de nouveau les terres polonaises et lituaniennes, celles du royaume
de Pologne et celles annexées à l’Empire russe). Mais à cette date,
le Code Napoléon est défendu par les juristes qui ne sont pas favorables au retour à l’ancien droit
polonais.
La constitution du 27 novembre 1815 maintient donc la
législation antérieure, mais un travail
d’adaptation est entrepris et aboutit à des résultats partiels :
*loi du 26 avril 1818 sur la propriété des immeubles, les
privilèges et les hypothèques (>Livre III, titre XVIII du Code Napoléon),
complétée par la loi du 13 juin 1825 sur les privilèges et hypothèques
*loi de 1825 sur le livre I du Code civil du royaume de
Pologne (>livre I ; livre III, titre V du Code Napoléon) qui revient
notamment sur la sécularisation du mariage et de l’état civil.
Suite à l’insurrection de 1830-1831 est créé un département
chargé de concilier le droit du royaume de Pologne avec celui de l’Empire russe.
Nicolas 1er édicte notamment une nouvelle loi sur le mariage (24
juin 1836). Mais, dans l’ensemble, il n’y a pas de changements importants
sur le fond.
Après l’insurrection de 1863-1864, commence une période de
russification. Le code de procédure français est abrogé en 1875 et remplacé par
les règles russes en la matière. Des juges russes sont nommés (75 % de juges
russes en 1885*)
Malgré tout, le Code Napoléon persiste parce qu’il est
toujours considéré comme supérieur au « Corps des lois russes* » en
vigueur dans l’Empire et qu’il bénéficie désormais du soutien des Polonais, dans
la mesure où il est devenu la principale distinction concrète entre le royaume
de Pologne et l’Empire russe. Bien que le Code civil soit traduit en russe et
que le cours de Code Napoléon à la Faculté de Droit soit donné en russe (à
partir de 1869), la formation des juristes du royaume de Pologne reste sous
l’influence du droit français tel qu’il évolue en France à cette époque
(jurisprudence, arrêts de la Cour de cassation).
En 1918, la République de Pologne maintient d’abord les
systèmes juridiques en vigueur dans les territoires qui la composent.
Le Code Napoléon (tel qu’il a évolué jusqu’en 1914) reste donc en vigueur dans
les territoires de l’ancien royaume de Pologne ; ailleurs, on trouve : les codes allemand et autrichiens ou le Corps des lois de l’empire russe.
Un travail d’unification est mené à partir de 1919 et aboutit
à des résultats partiels :
*la loi sur le droit d’auteur de 1926 ;
*les lois sur les brevets et les marques de 1928 ;
*le Code des obligations de 1933 (>Livre II du Code
Napoléon) ;
*le Code du commerce de 1934 ;
*loi sur les lettres de change et les chèques de 1936.
Des travaux sur d’autres points sont interrompus du fait
de la guerre et repris après la libération du pays. Le droit
civil est unifié en 1945-1946 : le Code Napoléon cesse d’avoir force de loi le
31 décembre 1946.
L’auteur indique ensuite que l’influence de la tradition
juridique française est restée présente dans la Pologne communiste, notamment
lors de l’élaboration du Code civil de 1964, qui est d’ailleurs resté en
vigueur après la fin de la République populaire. A noter que ce Code civil de
1964 ne concerne pas le droit de la famille, mis au point dès 1950 dans un Code
de la famille (revu en 1964), dans une perspective favorable à l’égalité de
l’homme et de la femme.
Notes
*jacobins polonais :
*Félix Lubienski (Feliks Łubieński, 1758-1848), juriste ; ministre de la Justice du duché de Varsovie ; dignitaire du royaume de Pologne
*Adam Czartoryski (Adam Jerzy Czartoryski, 1770-1861), un des principaux hommes politiques de l'insurrection de 1830-1831, puis de l'émigration, en tant que leader de son aile conservatrice. Voir la page Notices biographiques.
*Adam Czartoryski (Adam Jerzy Czartoryski, 1770-1861), un des principaux hommes politiques de l'insurrection de 1830-1831, puis de l'émigration, en tant que leader de son aile conservatrice. Voir la page Notices biographiques.
*Corps des lois
russes : Recueil des lois de l'Empire russe (Сводъ Законовъ Россiйской Имперiи, selon l’orthographe moderne Cвод Законов Pоссийской Империи, soit Svod Zakonov Rossijskoj Imperii)
*1885 :
l’auteur écrit « dix ans après la réforme », qui d’après le contexte,
semble être celle de 1875
Commentaires
Cet article est intéressant d’un point de vue historique
général : il confirme la persistance du Code civil d’origine
française tout au long de la période de domination russe, et même au-delà.
Cependant, il est souvent trop elliptique, ne développant
pas suffisamment un certain nombre d’exemples donnés, qui de ce fait ne sont
pas significatifs. Par exemple, lorsque l’auteur parle de la question
paysanne, elle nous dit que « le décret du 21 décembre 1807 expliqua que
le paysan était libre, qu’il pouvait se rendre n’importe où, mais "qu’il
devait néanmoins en quittant le domaine de son seigneur lui laisser sa
propriété composée de l’outillage et des semences". Paradoxalement, il en
résultait le renforcement de la propriété foncière des seigneurs et la
confirmation de l’état de choses existant, car toute "la sphère des
rapports entre seigneur et paysan se trouva, en fait, en dehors du Code" ».
Je suis prêt à admettre cette conclusion, mais aucune démonstration n’en est faite.
De même, elle n’explique pas de façon convaincante la survie
du Code Napoléon à l’époque de la russification de la justice (à partir de la
fin des années 1860). Elle indique que le Code Napoléon était important pour
les Polonais comme marque de distinction : certes, mais cela constituait pour le gouvernement russe un motif supplémentaire de l’abolir. Elle dit aussi
que les juristes y restaient attachés : mais étant donné que, dit-elle, 75
% des juges étaient des Russes à la fin du XIXème siècle, cela signifie-t-il
que ces Russes seraient eux aussi devenus des adeptes du Code civil ? Ou bien est-ce que
l’opinion des avocats (presque tous Polonais) suffisait ?
Elle n’évoque pas non plus un aspect concret de ces
nominations de Russes : quand un Russe était nommé juge en Pologne, il
fallait qu’il connaisse le Code civil. Est-ce qu’il recevait une formation
ou bien est-ce que les juristes russes étaient formés au Code civil, pas
seulement à la législation russe ?
Un énoncé erroné
Je relèverai un point sur lequel l’auteur
me semble faire une erreur : elle écrit (page 79) : « Il est
intéressant de noter que le Code Napoléon n’a jamais eu de traduction
officielle en Pologne. Il fut introduit dans son texte français et c’était ce
texte qui était officiellement en vigueur ».
C’est très surprenant, car le texte français du Code civil
parlait de « la France » et « des Français », pas du « duché
de Varsovie » ni des « ressortissants du duché de Varsovie ». Il n'est donc pas possible que le texte d'origine n'ait pas été au minimum adapté.
Le catalogue de la bibliothèque polonaise de Paris montre
qu'en fait, il était aussi traduit puisqu'on y trouve :
1) une édition trilingue (polonais, français, latin) du Code civil français de 1804, datée de 1813 (cote 15017) et titrée :
1) une édition trilingue (polonais, français, latin) du Code civil français de 1804, datée de 1813 (cote 15017) et titrée :
« Kodex Napoleona / Code Napoléon / Codex
Napoleonis »
2) un ouvrage édité en 1809 (cote 6113) dont
le titre est
« KODEX
NAPOLEONA
Xięstwu
Warszawskiemu, Artykulem 69tym Ustawy Konstytucyiney Roku 1807
dnia
22. Lipca za PRAWO CYWILNE
Podany
Z
niektóremi odmianami na Seymie Warszawszkim w Roku 1809
od
NAYIAŚNIEYSZEGO PANA szczęśliwie nam panuiącego.
FREDERYKA
AUGUSTA
Dekretem
Roku tegoż 1809. dnia 18. Marca potwierdzonemi.»
Traduction
« CODE
NAPOLEON donné (podany) au duché de Varsovie, conformément à
l’article 69 de la loi constitutionnelle du 22 juillet 1807, pour [régir] le
DROIT CIVIL
Avec
quelques modifications [effectuées] lors de la Diète de Varsovie de l’année
1809 confirmées par le décret du 18 mars de cette année 1809 du très illustre
seigneur Frédéric Auguste*, qui règne sur nous avec bonheur »
Si ce n’est pas un document officiel, qu’est-ce donc ?
Le texte donné dans cet ouvrage n’est pas la traduction
du Code français, mais une traduction-adaptation, puisque le texte mentionne bien « le
duché de Varsovie » et « les ressortissants du duché de
Varsovie » (mieszkancy Xięstwa
Warszawskiego).
De cela, il ressort clairement qu’il existait une version
polonaise officielle (validée par la Diète) du code en vigueur dans
le duché de Varsovie, ce qui est tout à fait logique et attendu.
L'assertion de l'auteur, à la fois inexacte et contraire à toute logique, est donc incompréhensible. Mais elle ne remet pas en cause l'ensemble de l'argumentation, puisque les éléments essentiels de l'article concernent le Code du royaume de Pologne, auquel elle ne s'applique pas.
Notes
L'assertion de l'auteur, à la fois inexacte et contraire à toute logique, est donc incompréhensible. Mais elle ne remet pas en cause l'ensemble de l'argumentation, puisque les éléments essentiels de l'article concernent le Code du royaume de Pologne, auquel elle ne s'applique pas.
Notes
*Frédéric Auguste : Frédéric-Auguste de Saxe ou Frédéric-Auguste le Juste (1750-1827), électeur (Frédéric-Auguste
III, 1763-1806) puis roi de Saxe (Frédéric-Auguste 1er, 1806-1827),
duc de Varsovie (Fryderyk August I) de 1807 à 1815.
Création : 27 octobre 2015
Mise à jour : 31 octobre 2015
Révision : 30 juin 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 220 Un article sur le Code Napoléon en Pologne 2 : analyse et commentaires
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/10/code-napoleon-pologne-2-commentaires.html
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