mardi 27 octobre 2015

220 Un article sur le Code Napoléon en Pologne 2 : analyse et commentaires

Quelques informations sur l'article de Biruta Lewaszkiewicz-Petrykowska « Le Code Napoléon et son héritage en Pologne » : analyse et commentaires


Classement : histoire du droit en Pologne




Ceci est une suite de la page A propos d'un article sur le Code Napoléon en Pologne dans laquelle je présente l’auteur et l’ouvrage où se trouve cet article

Référence
*Biruta Lewaszkiewicz-Petrykowska, « Le Code Napoléon et son héritage en Pologne », dans Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré Mélanges offerts à Jacques Vanderlinden, Bruxelles, Bruylant, 2004, pages 77-100

Présentation de l’article
Il comporte deux parties :
1 L’histoire (pages 77 à 89)
2 Les traces du Code Napoléon dans le droit civil polonais en vigueur (pages 90 à 100)
A La responsabilité civile (page 90…)
B Le transfert de propriété (page 95…)
La partie qui nous intéresse est la première.

Résumé de la première partie
L’auteur évoque les circonstances historiques de l’introduction du Code Napoléon dans le duché de Varsovie (cf. page Le Code civil polonais de 1808), puis les réactions généralement défavorables, les milieux dirigeants polonais auraient préféré le rétablissement du droit d’avant 1795 et la noblesse polonaise considérant le Code civil comme trop révolutionnaire. Son introduction ne trouvait d’appui que parmi les « radicaux », dits « jacobins polonais* », qui y voyaient un moyen de transformation sociale et politique.
Les principaux motifs d’opposition étaient  
1) la « question paysanne » et le principe de l’égalité devant la loi et de la liberté personnelle ;
2) le régime des hypothèques ;
3) la sécularisation de l’état civil.
[je ne développe pas ces points, sur lesquels l’article est trop court pour qu’il soit intéressant de le résumer].
Concrètement, l’introduction (1er mai 1808) a été précédée par un certain nombre de réformes sous la direction du ministre de la Justice, Félix Lubienski* : création d’une Ecole de droit à Varsovie, traduction en polonais, réorganisation des tribunaux, réforme de l’état civil.

Ni l’occupation du duché en 1813 ni la création du royaume de Pologne en 1815 n’ont entraîné l’abolition du Code Napoléon, malgré de fortes pressions au sein du groupe russophile dirigé par Adam Czartoryski* (dont l’objectif était de rassembler de nouveau les terres polonaises et lituaniennes, celles du royaume de Pologne et celles annexées à l’Empire russe). Mais à cette date, le Code Napoléon est défendu par les juristes qui ne sont pas favorables au retour à l’ancien droit polonais.
La constitution du 27 novembre 1815 maintient donc la législation antérieure, mais un travail d’adaptation est entrepris et aboutit à des résultats partiels :
*loi du 26 avril 1818 sur la propriété des immeubles, les privilèges et les hypothèques (>Livre III, titre XVIII du Code Napoléon), complétée par la loi du 13 juin 1825 sur les privilèges et hypothèques
*loi de 1825 sur le livre I du Code civil du royaume de Pologne (>livre I ; livre III, titre V du Code Napoléon) qui revient notamment sur la sécularisation du mariage et de l’état civil.

Suite à l’insurrection de 1830-1831 est créé un département chargé de concilier le droit du royaume de Pologne avec celui de l’Empire russe. Nicolas 1er édicte notamment une nouvelle loi sur le mariage (24 juin 1836). Mais, dans l’ensemble, il n’y a pas de changements importants sur le fond.

Après l’insurrection de 1863-1864, commence une période de russification. Le code de procédure français est abrogé en 1875 et remplacé par les règles russes en la matière. Des juges russes sont nommés (75 % de juges russes en 1885*)
Malgré tout, le Code Napoléon persiste parce qu’il est toujours considéré comme supérieur au « Corps des lois russes* » en vigueur dans l’Empire et qu’il bénéficie désormais du soutien des Polonais, dans la mesure où il est devenu la principale distinction concrète entre le royaume de Pologne et l’Empire russe. Bien que le Code civil soit traduit en russe et que le cours de Code Napoléon à la Faculté de Droit soit donné en russe (à partir de 1869), la formation des juristes du royaume de Pologne reste sous l’influence du droit français tel qu’il évolue en France à cette époque (jurisprudence, arrêts de la Cour de cassation).

En 1918, la République de Pologne maintient d’abord les systèmes juridiques en vigueur dans les territoires qui la composent. Le Code Napoléon (tel qu’il a évolué jusqu’en 1914) reste donc en vigueur dans les territoires de l’ancien royaume de Pologne ; ailleurs, on trouve : les codes allemand et autrichiens ou le Corps des lois de l’empire russe.
Un travail d’unification est mené à partir de 1919 et aboutit à des résultats partiels :
*la loi sur le droit d’auteur de 1926 ;
*les lois sur les brevets et les marques de 1928 ;
*le Code des obligations de 1933 (>Livre II du Code Napoléon) ;
*le Code du commerce de 1934 ;
*loi sur les lettres de change et les chèques de 1936.

Des travaux sur d’autres points sont interrompus du fait de la guerre et repris après la libération du pays. Le droit civil est unifié en 1945-1946 : le Code Napoléon cesse d’avoir force de loi le 31 décembre 1946.

L’auteur indique ensuite que l’influence de la tradition juridique française est restée présente dans la Pologne communiste, notamment lors de l’élaboration du Code civil de 1964, qui est d’ailleurs resté en vigueur après la fin de la République populaire. A noter que ce Code civil de 1964 ne concerne pas le droit de la famille, mis au point dès 1950 dans un Code de la famille (revu en 1964), dans une perspective favorable à l’égalité de l’homme et de la femme.

Notes
*jacobins polonais :
*Félix Lubienski (Feliks Łubieński, 1758-1848), juriste ; ministre de la Justice du duché de Varsovie ; dignitaire du royaume de Pologne
*Adam Czartoryski (Adam Jerzy Czartoryski, 1770-1861), un des principaux hommes politiques de l'insurrection de 1830-1831, puis de l'émigration, en tant que leader de son aile conservatrice. Voir la page Notices biographiques.
*Corps des lois russes : Recueil des lois de l'Empire russe (Сводъ Законовъ Россiйской Имперiи, selon l’orthographe moderne Cвод Законов Pоссийской Империи, soit Svod Zakonov Rossijskoj Imperii)
*1885 : l’auteur écrit « dix ans après la réforme », qui d’après le contexte, semble être celle de 1875

Commentaires
Cet article est intéressant d’un point de vue historique général : il confirme la persistance du Code civil d’origine française tout au long de la période de domination russe, et même au-delà.
Cependant, il est souvent trop elliptique, ne développant pas suffisamment un certain nombre d’exemples donnés, qui de ce fait ne sont pas significatifs. Par exemple, lorsque l’auteur parle de la question paysanne, elle nous dit que « le décret du 21 décembre 1807 expliqua que le paysan était libre, qu’il pouvait se rendre n’importe où, mais "qu’il devait néanmoins en quittant le domaine de son seigneur lui laisser sa propriété composée de l’outillage et des semences". Paradoxalement, il en résultait le renforcement de la propriété foncière des seigneurs et la confirmation de l’état de choses existant, car toute "la sphère des rapports entre seigneur et paysan se trouva, en fait, en dehors du Code" ». Je suis prêt à admettre cette conclusion, mais aucune démonstration n’en est faite.
De même, elle n’explique pas de façon convaincante la survie du Code Napoléon à l’époque de la russification de la justice (à partir de la fin des années 1860). Elle indique que le Code Napoléon était important pour les Polonais comme marque de distinction : certes, mais cela constituait pour le gouvernement russe un motif supplémentaire de l’abolir. Elle dit aussi que les juristes y restaient attachés : mais étant donné que, dit-elle, 75 % des juges étaient des Russes à la fin du XIXème siècle, cela signifie-t-il que ces Russes seraient eux aussi devenus des adeptes du Code civil ? Ou bien est-ce que l’opinion des avocats (presque tous Polonais) suffisait ?
Elle n’évoque pas non plus un aspect concret de ces nominations de Russes : quand un Russe était nommé juge en Pologne, il fallait qu’il connaisse le Code civil. Est-ce qu’il recevait une formation ou bien est-ce que les juristes russes étaient formés au Code civil, pas seulement à la législation russe ?

Un énoncé erroné
Je relèverai un point sur lequel l’auteur me semble faire une erreur : elle écrit (page 79) : « Il est intéressant de noter que le Code Napoléon n’a jamais eu de traduction officielle en Pologne. Il fut introduit dans son texte français et c’était ce texte qui était officiellement en vigueur ».
C’est très surprenant, car le texte français du Code civil parlait de « la France » et « des Français », pas du « duché de Varsovie » ni des « ressortissants du duché de Varsovie ». Il n'est donc pas possible que le texte d'origine n'ait pas été au minimum adapté.

Le catalogue de la bibliothèque polonaise de Paris montre qu'en fait, il était aussi traduit puisqu'on y trouve :
1) une édition trilingue (polonais, français, latin) du Code civil français de 1804, datée de 1813 (cote 15017) et titrée :
« Kodex Napoleona / Code Napoléon / Codex Napoleonis »
2) un ouvrage édité en 1809 (cote 6113) dont le titre est 
« KODEX NAPOLEONA 
Xięstwu Warszawskiemu, Artykulem 69tym Ustawy Konstytucyiney Roku 1807
dnia 22. Lipca za PRAWO CYWILNE
Podany
Z niektóremi odmianami na Seymie Warszawszkim w Roku 1809
od NAYIAŚNIEYSZEGO PANA szczęśliwie nam panuiącego.
FREDERYKA AUGUSTA
Dekretem Roku tegoż 1809. dnia 18. Marca potwierdzonemi.»
Traduction
« CODE NAPOLEON donné (podany) au duché de Varsovie, conformément à l’article 69 de la loi constitutionnelle du 22 juillet 1807, pour [régir] le DROIT CIVIL 
Avec quelques modifications [effectuées] lors de la Diète de Varsovie de l’année 1809 confirmées par le décret du 18 mars de cette année 1809 du très illustre seigneur Frédéric Auguste*, qui règne sur nous avec bonheur  »

Si ce n’est pas un document officiel, qu’est-ce donc ?

Le texte donné dans cet ouvrage n’est pas la traduction du Code français, mais une traduction-adaptation, puisque le texte mentionne bien « le duché de Varsovie » et « les ressortissants du duché de Varsovie » (mieszkancy Xięstwa Warszawskiego).
De cela, il ressort clairement qu’il existait une version polonaise officielle (validée par la Diète) du code en vigueur dans le duché de Varsovie, ce qui est tout à fait logique et attendu. 
L'assertion de l'auteur, à la fois inexacte et contraire à toute logique, est donc incompréhensible. Mais elle ne remet pas en cause l'ensemble de l'argumentation, puisque les éléments essentiels de l'article concernent le Code  du royaume de Pologne, auquel elle ne s'applique pas.

Notes
*Frédéric Auguste : Frédéric-Auguste de Saxe ou Frédéric-Auguste le Juste (1750-1827), électeur (Frédéric-Auguste III, 1763-1806) puis roi de Saxe (Frédéric-Auguste 1er, 1806-1827), duc de Varsovie (Fryderyk August I) de 1807 à 1815.



Création : 27 octobre 2015
Mise à jour : 31 octobre 2015
Révision : 30 juin 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 220 Un article sur le Code Napoléon en Pologne 2 : analyse et commentaires
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/10/code-napoleon-pologne-2-commentaires.html











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