dimanche 15 novembre 2015

221 L'application de l'article 10 du Code civil de 1804 en cas de naissance à l'étranger

Quelques réflexions à propos de l’application de l’article 10 du Code civil de 1804


Classement : histoire du droit ; droit français de la nationalité




Comme on l’a vu dans les pages suivantes
l’article 10 du Code civil de 1804 joue un rôle essentiel dans l’argumentaire des tenants de « Chopin français ».

Texte de l’article
« Tout enfant né d’un Français en pays étranger, est Français.
Tout enfant né, en pays étranger, d’un Français qui aurait perdu la qualité de Français, pourra toujours recouvrer cette qualité, en remplissant les formalités prescrites par l’article 9 »

Je laisse de côté la seconde phrase, ignorée du reste par les tenants de « Chopin français », qui s’en tiennent à la première. 
Je laisse aussi de côté la question de fait (Nicolas Chopin était-il français en 1810 ?), traitée dans la page Le statut de Nicolas Chopin quant à la nationalité. 
Il faut s’interroger sur la signification concrète de cet énoncé : « Tout enfant né d’un Français en pays étranger, est Français. » 

Au préalable, il faut souligner son caractère paradoxal puisque, littéralement, il exige deux conditions pour être français par filiation :
1) avoir un père français ;
2) être né à l’étranger.
Bien entendu, seule la première condition était retenue (« avoir un père français ») : s’appliquant à une naissance à l’étranger, elle s’appliquait a fortiori à une naissance en France.
Cette énonciation bizarre n’a été corrigée que dans la loi de 1889.

Problème de son application à l'étranger 
Cela dit, il faut essayer de comprendre comment elle peut être appliquée, dans le cas d’une naissance à l’étranger, si l’intéressé continue par la suite de résider à l’étranger.

D’une façon générale, dès lors qu’un citoyen français se trouve à l’étranger, les pouvoirs de l’Etat français sur lui se trouvent de facto fortement diminués ; il ne peut pas, en particulier, procéder à son arrestation : il doit obtenir son extradition par le gouvernement du pays étranger où ce citoyen se trouve (c'est-à-dire l’arrestation et le transfert en France par les autorités étrangères compétentes). Les Français à l’étranger se trouvent sous le contrôle immédiat du gouvernement du pays, et non du gouvernement français ; voire sous la protection de ce gouvernement étranger. En général, cela n’a pas d’importance (cas, notamment, des touristes), mais il n’empêche que c’est la situation juridiquement établie en ce qui concerne les personnes ; bien entendu, le gouvernement français peut agir sur les biens situés en France de personnes résidant à l’étranger.

Signification de l'article en cas de naissance à l'étranger
Dans ces conditions, que pouvait signifier concrètement la phrase : « Tout enfant né d’un Français en pays étranger, est Français. » ? La même interrogation est valable pour l’énoncé actuel, selon lequel il suffit d'avoir un parent français (père ou mère).

Signifie-t-elle, comme le pensent les tenants de « Chopin français », que la législation française impose la nationalité française à l’enfant de père français à l’étranger et résidant par la suite à l’étranger ? Mais pour quelle raison l’Etat français aurait-il voulu « imposer » cette nationalité ? Et comment aurait-il pu l'imposer ?

La seule raison valable du point de vue de l’Etat serait de pouvoir exiger le service militaire de ce citoyen (s’il s’agit d’un homme) ; toutefois, au XIXème siècle (de 1814 à 1889), cela n’aurait pas eu grand sens, puisque, étant donné le système du tirage au sort parmi les « conscrits », de nombreux Français résidant en France échappaient au service effectif. Par ailleurs, les intéressés (nés et résidant à l’étranger) n’étaient pas forcément connus des services du ministère de la Guerre et, même connus, ne pouvaient pas faire l’objet des procédures s’appliquant aux déserteurs, à moins que des accords d’extradition aient prévu ce cas (le gouvernement étranger concerné considérerait alors comme un délit le fait pour un Français d’être « déserteur » de l’armée française).

En fait, la phrase citée ci-dessus n’a de sens véritable que dans les cas suivants : soit le père français souhaite que son enfant bénéficie de la nationalité françaisesoit cet enfant lui-même souhaite (plus tard) en bénéficier (voire, comme l'indique la deuxième partie de la phrase, la reprendre, au cas où son père l'aurait perdue). Pour cette raison, il était (et est toujours) recommandé aux Français de signaler très tôt la naissance à l'étranger d'un enfant aux autorités françaises : c'est pourquoi les consulats français tenaient (et tiennent toujours) des registres de naissance permettant d’enregistrer, comme sur le territoire national, la filiation française d’une personne. On trouve par exemple au Centre des Archives diplomatiques de Nantes, les registres d’état civil du consulat français à Venise pour l’année 1810 ; mais tous les registres d’état civil consulaire de cette époque n’ont pas été rapatriés (notamment, ceux du poste de Varsovie).

C’est la raison qui a amené les rédacteurs du Code Napoléon à prévoir la « perte de la nationalité par établissement à l’étranger sans esprit de retour » (article 17, alinéa 3) :
« La qualité de Français se perdra,
1) Par la naturalisation acquise en pays étranger ;
2) Par l’acceptation, non autorisée par l’Empereur, de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger ;
3) Enfin, par tout établissement fait en pays étranger, sans esprit de retour. 
Les établissements de commerce ne pourront jamais être considérés comme ayant été faits sans esprit de retour. ».

Concrètement, cela n’entraîne pas (en général ; il serait intéressant de savoir si et dans quels cas cette clause a été effectivement utilisée à l'encontre d’une personne donnée ; la clause sur « les fonctions publiques non autorisée dans un pays étranger » est plus facile à comprendre d’un point de vue juridique) une « déchéance de nationalité » formellement matérialisée par un acte positif ; il s'agit simplement d'un constat, du constat que si un Français (ou l’enfant né à l’étranger d’un Français) réside indéfiniment à l’étranger, sans établir la moindre relation avec les autorités françaises, il est tout simplement soustrait au contrôle de la France et donc de facto « n'est plus français » (et, au moins symboliquement, de jure).

Conclusion
L’article 10 constitue donc une garantie pour l’enfant né à l’étranger d’un père français qu’en cas de besoin et si c'est souhaité, il peut bénéficier de la nationalité française, acceptant dès lors de se soumettre aux obligations afférentes.
Il n'établit pas un droit réel pour l’Etat d’intégrer l’intéressé dans l’ensemble des citoyens français, mais un droit réel pour l’intéressé de s’intégrer à cet ensemble (ou pour son père français de l’intégrer dans cet ensemble).
Il donne encore moins le droit à un olibrius d’intégrer a posteriori (200 ans plus tard !) l’intéressé dans cet ensemble, pour la simple raison que cet intéressé (Frédéric Chopin) est devenu une célébrité !

A venir
*Frédéric Chopin et l’article 10 du code Napoléon



Création : 15 novembre 2015
Mise à jour :
Révision : 17 septembre 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 221 La signification de l'article 10 du Code civil de 1804
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/11/la-signification-de-larticle-10-du-code.html










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