Quelques réflexions à propos de l’application de l’article
10 du Code civil de 1804
Classement : histoire du droit ; droit français de
la nationalité
Première partie : Aperçus historiques
(Pologne et relations franco-polonaises)
Deuxième partie : Frédéric Chopin,
questions biographiques
Troisième partie : La nationalité de
Frédéric Chopin, notamment :
Comme on l’a vu dans les pages suivantes
l’article 10 du Code civil de 1804 joue un rôle essentiel
dans l’argumentaire des tenants de « Chopin français ».
Texte de l’article
« Tout enfant né d’un Français en pays étranger, est
Français.
Tout enfant né, en pays étranger, d’un Français qui aurait
perdu la qualité de Français, pourra toujours recouvrer cette qualité, en
remplissant les formalités prescrites par l’article 9 »
Je laisse de côté la seconde phrase, ignorée du reste par
les tenants de « Chopin français », qui s’en tiennent à la première.
Je laisse aussi de côté la question de fait (Nicolas Chopin
était-il français en 1810 ?), traitée dans la page Le
statut de Nicolas Chopin quant à la nationalité.
Il faut s’interroger sur la
signification concrète de cet énoncé : « Tout enfant né d’un Français
en pays étranger, est Français. »
Au préalable, il faut souligner son caractère paradoxal
puisque, littéralement, il exige deux conditions pour être français par
filiation :
1) avoir un père français ;
2) être né à l’étranger.
Bien entendu, seule la première condition était retenue
(« avoir un père français ») : s’appliquant à une naissance à
l’étranger, elle s’appliquait a fortiori
à une naissance en France.
Cette énonciation bizarre n’a été corrigée que dans la loi de 1889.
Cela dit, il faut essayer de comprendre comment elle peut
être appliquée, dans le cas d’une naissance à l’étranger, si
l’intéressé continue par la suite de résider à l’étranger.
D’une façon générale, dès lors qu’un citoyen
français se trouve à l’étranger, les pouvoirs de l’Etat français sur lui se trouvent de facto fortement diminués ; il ne peut pas, en particulier, procéder à son arrestation :
il doit obtenir son extradition par le gouvernement du pays étranger où ce citoyen se
trouve (c'est-à-dire l’arrestation et le transfert en France par les autorités
étrangères compétentes). Les Français à l’étranger se trouvent sous le contrôle
immédiat du gouvernement du pays, et non du gouvernement français ; voire sous la protection de ce gouvernement étranger. En général, cela n’a pas
d’importance (cas, notamment, des touristes), mais il n’empêche que c’est la
situation juridiquement établie en ce qui concerne les personnes ; bien
entendu, le gouvernement français peut agir sur les biens situés en France de
personnes résidant à l’étranger.
Dans ces conditions, que pouvait signifier concrètement la
phrase : « Tout enfant né d’un Français en pays
étranger, est Français. » ? La même interrogation est valable
pour l’énoncé actuel, selon lequel il suffit d'avoir un parent français (père ou mère).
Signifie-t-elle, comme le pensent les tenants de
« Chopin français », que la législation française impose la
nationalité française à l’enfant de père français à l’étranger et résidant par
la suite à l’étranger ? Mais pour quelle raison l’Etat français aurait-il voulu
« imposer » cette nationalité ? Et comment aurait-il pu l'imposer ?
La seule raison valable du point de vue de l’Etat serait
de pouvoir exiger le service militaire de ce citoyen (s’il s’agit d’un homme) ;
toutefois, au XIXème siècle (de 1814 à 1889), cela n’aurait pas eu grand sens,
puisque, étant donné le système du tirage au sort parmi les
« conscrits », de nombreux Français résidant en France échappaient au
service effectif. Par ailleurs, les intéressés (nés et résidant à l’étranger)
n’étaient pas forcément connus des services du ministère de la Guerre et, même
connus, ne pouvaient pas faire l’objet des procédures s’appliquant aux
déserteurs, à moins que des accords d’extradition aient prévu ce cas (le
gouvernement étranger concerné considérerait alors comme un délit le fait pour
un Français d’être « déserteur » de l’armée française).
En fait, la phrase citée ci-dessus n’a de sens véritable que
dans les cas suivants : soit le père français souhaite que son enfant bénéficie de la nationalité française, soit cet enfant lui-même souhaite (plus tard) en bénéficier (voire, comme l'indique la deuxième partie de la phrase, la reprendre, au cas où son père l'aurait perdue). Pour cette raison, il était (et est toujours) recommandé aux Français de
signaler très tôt la naissance à l'étranger d'un enfant aux autorités françaises : c'est pourquoi les consulats français tenaient (et tiennent toujours) des
registres de naissance permettant d’enregistrer, comme sur le territoire
national, la filiation française d’une personne. On trouve par exemple au Centre des Archives diplomatiques de Nantes, les registres
d’état civil du consulat français à Venise pour l’année 1810 ; mais tous les
registres d’état civil consulaire de cette époque n’ont pas été rapatriés (notamment, ceux du poste de Varsovie).
C’est la raison qui a amené les rédacteurs du Code Napoléon à prévoir
la « perte de la nationalité par établissement à l’étranger
sans esprit de retour » (article 17, alinéa 3) :
« La qualité de Français se perdra,
1) Par la naturalisation acquise en pays étranger ;
2) Par l’acceptation, non autorisée par l’Empereur, de
fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger ;
3) Enfin, par tout établissement fait en pays étranger, sans
esprit de retour.
Les établissements de commerce ne pourront jamais être
considérés comme ayant été faits sans esprit de retour. ».
Concrètement, cela n’entraîne pas (en général ; il
serait intéressant de savoir si et dans quels cas cette clause a été effectivement utilisée à
l'encontre d’une personne donnée ; la clause sur « les fonctions
publiques non autorisée dans un pays étranger » est plus facile à
comprendre d’un point de vue juridique) une « déchéance de
nationalité » formellement matérialisée par un acte positif ; il s'agit simplement d'un constat, du constat que si un Français (ou l’enfant né à l’étranger d’un Français) réside
indéfiniment à l’étranger, sans établir la moindre relation avec les autorités
françaises, il est tout simplement soustrait au contrôle de la France et donc de
facto « n'est plus français » (et, au moins symboliquement, de jure).
L’article 10 constitue donc une garantie pour l’enfant né à
l’étranger d’un père français qu’en cas de besoin et si c'est souhaité, il peut bénéficier de la
nationalité française, acceptant dès lors de se soumettre aux obligations
afférentes.
Il n'établit pas un droit réel pour l’Etat d’intégrer l’intéressé dans l’ensemble des citoyens français, mais un droit réel pour l’intéressé de s’intégrer à cet ensemble (ou pour son père français de l’intégrer dans
cet ensemble).
Il donne encore moins le droit à un olibrius d’intégrer a posteriori (200 ans plus tard !) l’intéressé dans cet ensemble, pour la simple raison que cet intéressé (Frédéric
Chopin) est devenu une célébrité !
A venir
*Frédéric Chopin et l’article 10 du code Napoléon
Création : 15
novembre 2015
Mise à jour :
Révision : 17 septembre 2020
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 221 La signification de l'article 10 du Code civil de 1804
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/11/la-signification-de-larticle-10-du-code.html
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