mardi 29 septembre 2015

210 Le débat parlementaire du 20 février 1833 sur la situation du royaume de Pologne : texte

Reproduction du débat sur la Pologne à la Chambre des députés le 20 février 1833


Classement : histoire des relations franco-polonaises




Le texte de ce débat est reproduit dans le périodique Souvenirs de la Pologne présenté par ailleurs (tome 1, pages 52 à 60).

On trouvera ci-dessous une version annotée du texte de cet ouvrage.

Présentation et commentaires à venir.

Le débat du 20 février a été précédé le 19 février, par des échanges reproduits sur une autre page.


Texte du débat

« Page 52

SITUATION DE LA CAUSE POLONAISE (suite)

Séance du 20 février

M. Mauguin*. – Je ne veux pas rappeler nos anciennes discussions sur la cause polonaise ; ce sont des souvenirs que nous voulons tous éteindre. Mais ce à quoi vous devez faire attention, c’est à l’état actuel de la Pologne.
D’après le traité de 1815*, la Pologne avait une espèce d’indépendance ; elle avait une constitution, une administration distincte, et la preuve que la Pologne n’était pas entièrement dans l’obéissance russe, c’est qu’au moment où la Russie a voulu marcher sur nous*, l’armée polonaise, compacte et réunie, s’est retournée et soulevée* contre l’armée moscovite.
Maintenant, au contraire, la Pologne n’existe plus ; elle est une partie du vaste empire russe, dans lequel elle est entièrement fondue.
Je ne vous parle pas des plaintes des malheureux Polonais ; certes, ici, tout le monde compatira à leurs souffrances.
On nous a dit hier à cette tribune, qu’on ne pouvait adresser au cabinet de Saint-Pétersbourg que quelques représentations ; qu’on ne pouvait que faire parler l’humanité et la justice : ce sont les expressions du ministre. Mais pourquoi ne pourrait-on invoquer aussi les traités ? la Pologne, maintenant, est-elle abandonnée par la France ? je ne vous dis pas de soutenir sa révolution ; non, vous l’avez proscrite, condamnée, n’y revenez plus. Mais est-ce que vous n’avez pas le droit de demander que les traités soient exécutés ; que la Pologne recouvre et son administration distincte et sa constitution (1) ? N’êtes-vous pas chargés, dans l’intérêt de la
Notes
*M. Mauguin : François Mauguin (1785-1854), député de la Côte-d’Or de 1827 à 1851, spécialiste à cette époque des questions de politique étrangère
*le traité de 1815 : le traité de Vienne (voir la page Le Congrès de Vienne et la Pologne)
*au moment où la Russie a voulu marcher sur nous : la crainte d’une intervention russe contre la Belgique est à l’origine du soulèvement polonais de novembre 1830
*l’armée polonaise s’est soulevée : le 30 novembre 1830, un groupe d’élèves-officiers de Varsovie force le grand-duc Constantin à s’enfuir, amenant l’élite politique du royaume de Pologne (notamment la Diète et les officiers) à se placer (plus ou moins) en opposition à la Russie.

(1) [Note de la rédaction] Nous concevons bien les considérations qui, dans l’état actuel des choses, ont guidé nos illustres et généreux défenseurs à borner leur appui en notre faveur, [51] aux clauses du malheureux traité de Vienne, qui n’est toujours qu’une violation de nos droits les plus sacrés ; mais s’il faut déjà revenir à cette déplorable combinaison politique, nous désirerions qu’ils la rappelassent dans toute son étendue, et surtout dans les garanties relatives non seulement au royaume constitutionnel, mais encore aux institutions nationales et représentatives* des provinces polonaises anciennement incorporées à l’empire, et dans l’accomplissement desquelles les autres autocrates restèrent en demeure depuis 1815. Le royaume constitutionnel ne s’étend que sur quatre millions de Polonais, tandis que lesdites provinces en contiennent huit ; et ce n’est que la jonction de ces deux portions de l’ancienne république polonaise, sous l’empire des institutions représentatives et nationales, qui, selon l’avis de Kosciuszko* lui-même consulté à ce sujet, offrait à la nationalité polonaise la probabilité de pouvoir résister avec quelques succès aux empiétements de la suprématie moscovite.
Notes
*institutions nationales et représentatives :
*Kosciuszko : Thaddée Kosciuszko (Tadeusz Kościuszko, 1746-1817), militaire polonais, chef de l’insurrection de 1794 consécutive au Deuxième partage de la Pologne


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France, de demander l’exécution des traités ? Mais les traités dont je parle, ce sont ceux de 1815, ce sont les conventions derrière lesquelles vous vous êtes si souvent réfugiés ; vous ne pouvez pas en récuser l’autorité. Pourquoi donc la Pologne est-elle une province russe ? les traités s’y opposent, et les traités doivent être exécutés.
Il y a même, à cet égard, une observation très grave à faire.
Dans l’état actuel de l’Europe, toute puissance s’affaiblit de l’augmentation des forces acquises par une autre. Ce principe est connu des cabinets de Vienne et de Berlin au moins aussi bien qu’il peut l’être en France. Quand on a vu la révolution polonaise étouffée, on a pu croire que la Russie et l’Autriche ne demandaient qu’à voir finir un mouvement qui compromettait leurs provinces polonaises ; mais lorsqu’on a vu la Prusse et l’Autriche consentir à ce que la Pologne fût incorporée dans l’empire moscovite*, on a dû supposer des concessions faites à ces puissances ; autrement la Prusse et l’Autriche n’avaient pas souffert impunément un pareil accroissement de forces pour la Russie.
Aussi, dès la dernière session, je vous ai signalé dans le Nord une triple alliance : je n’avais pas grand mérite à le faire ; car il s’agit simplement de lire l’histoire, et l’on voit que depuis le premier partage de la Pologne, l’Autriche, la Prusse et la Russie ont été constamment alliées.

Notes
*consentir à ce que la Pologne fût incorporée dans l’empire moscovite : pas formellement, mais au moins du point de vue militaire : étant donné que l'armée polonaise est supprimée, le royaume de Pologne devient un élément du dispositif militaire russe


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Si donc l’Autriche et la Prusse ont souffert que la Russie s’étendît, c’est que des conventions avaient été faites, qui assuraient une indemnité à l’Autriche et à la Prusse.
M. Guizot*, ministre de l’instruction publique. – Je ferai seulement observer à la Chambre qu’il n’est survenu dans l’état de l’Europe, depuis quinze ans, qu’un seul grand changement matériel ; ce changement, c’est l’abolition du royaume des Pays-Bas*.
Voix à droite et à gauche : Et l’abolition du royaume de Pologne !
M. Guizot. – Quant à la Pologne, puisque le nom en a encore été prononcé, et j’avoue que c’est à mon extrême regret que je l’entends prononcer à la tribune, je dirai que la Pologne, lorsqu’elle s’est soulevée, n’existait pas. (Rumeurs négatives aux extrémités*.) Elle s’est soulevée pour tâcher d’exister ; mais auparavant la Pologne n’existait pas comme nation s’appartenant à elle-même. (Bruits).
Si la Pologne eût eu son existence indépendante, si elle eût formé un état séparé, se serait-elle soulevée ? Evidemment c’est pour arriver à un état tout autre que celui qu’elle avait, qu’elle s’est soulevée. Il est vrai qu’elle n’a pas réussi ; il est vrai qu’avec un grand surcroît de douleur, d’infortune, elle est retombée dans une situation à peu près semblable à celle dans laquelle elle se trouvait. (Exclamations et murmures aux extrémités.)
Je répète qu’avec un grand surcroît de malheur, de douleur, la Pologne est retombée dans un état à peu près semblable… (Interruption des côtés extrêmes.)
Je voudrais autre chose que des interruptions : je voudrais qu’on citât des faits ; qu’on vînt expliquer exactement à cette tribune quel était l’état de la Pologne avant la dernière insurrection.
Un membre à gauche –  M. Mauguin l’a expliqué.
M. Guizot. – Quant à moi, je n’ai entendu, dans le discours que vient de prononcer M. Mauguin, rien qui montrât que la Pologne était, il y a deux ans et demi, dans un état infiniment meilleur que celui dans lequel elle se trouve aujourd'hui. Je suis obligé de faire remarquer à la Chambre que je ne parle en aucune façon des souffrances individuelles ; que je ne parle que de l’état politique du

Notes
*M. Guizot : François Guizot (1787-1874), ministre de l'Intérieur (août-novembre 1830) ; ministre de l’Instruction publique (octobre 1832-février 1836)
*l’abolition du royaume des Pays-Bas : en septembre 1830, la Belgique, unie aux Pays-Bas depuis 1815, proclame son indépendance ; à proprement parler ce n’est pas « l’abolition du royaume des Pays-Bas »
*aux extrémitésla cause polonaise était soutenue à la fois par l’opposition de gauche (libéraux) et de droite (légitimistes)


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pays ; que je parle de sa constitution comme nation indépendante et forte. Je dis que cette indépendance, cette constitution forte, la Pologne ne l’avait pas avant la dernière insurrection ; qu’il n’est pas vrai qu’elle l’ait perdu, et que son état soit politiquement changé autant que l’honorable membre l’a donné à entendre.
Je ne voulais tirer de cela aucune autre conclusion, sinon que l’état matériel de l’Europe n’est pas changé contre nous, changé à notre désavantage depuis 1830, comme l’honorable membre vous le disait tout à l’heure.
M. Mauguin. – Le ministre qui descend de cette tribune a dit : « Qu’ailleurs tous les événements ont été à notre profit. » Il s’est trompé, et je le prouve en peu de mots. Je mets de côté ses sentiments sur la situation de la nation polonaise ; je ne doute pas qu’il ne partage nos impressions de douleur ; mais la situation de la Pologne n’en est pas moins complètement changée.
D’après les traités de 1815, la Pologne devait avoir une administration distincte. Le second paragraphe de l’article premier du traité, porte que les Polonais, sujets respectifs de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, obtiendront une représentation, des institutions nationales. Où est cette représentation, où sont ces institutions ? Faut-il donc dire à cette tribune que les ukases ont proscrit les institutions polonaises ; que l’armée polonaise a été fondue dans l’armée russe ; que la langue polonaise est proscrite des actes publics ; qu’il n’existe pas même d’universités ; que les enfants de la Pologne, dispersés en Sibérie, ne peuvent pas même réclamer de patrie ? Certes c’est là un changement grave dans les traités de 1815, et c’est ce changement que le gouvernement français ne pouvait tolérer ; il devait réclamer ; il était dans son droit en réclamant l’exécution des traités.
M. Odillon-Barrot*. – Quoi ! il ne s’est pas opéré un changement sérieux en Pologne ? Eh ! Messieurs, je ne retracerai pas devant vous toutes les vicissitudes de la Pologne ; je ne reproduirai pas tous les sentiments de sympathie qui nous animent pour la cause de la Pologne ; mais je traiterai la question diplomatiquement.
La Pologne, après des partages successifs, fut définitivement

Notes
*M. Odillon-Barrot : Odilon Barrot (1791-1873), à l’époque député du Bas-Rhin (1831-1834), siégeant dans l’opposition de gauche


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attribuée, par les traités de 1814 et de 1815 à la Russie. Mais le fut-elle purement et simplement comme province ? non, il fut formellement stipulé que la Pologne serait rattachée à la Russie par sa constitution*. Ainsi la constitution était le seul lien qui pût unir la Pologne à la Russie, qui [ne] peut* sans obstacle s’emparer de ses trésors de ses hommes, pour quelque cause que ce soit ; si, au contraire, la Pologne n’appartient à la Russie que par la constitution qui veut que la Pologne s’appartienne à elle-même, qui veut que la Russie ne puisse disposer de ses soldats, de ses trésors, qu’en vertu des lois émanées de la représentation polonaise, quelle différence ! L’autocrate ne peut disposer de la Pologne que pour une cause nationale pour la Pologne ; il est obligé de consulter la représentation polonaise ; il est obligé de subir un veto, une résistance légale.
M. le ministre de l’instruction publique. – Vous n’avez pas lu les traités.
M. Odillon-Barrot. – Ainsi la Pologne devait avoir une constitution ; elle devait être unie à la Russie par une constitution, et cette constitution a été jurée par l’empereur. Quand l’empereur la jura, il déclara que cette garantie constitutionnelle était sous la protection non seulement de son honneur, mais des traités ; ces traités étaient une garantie non seulement pour la Pologne, mais pour l’Europe entière.
En effet cette constitution était un obstacle à l’abus que la Russie pouvait faire de la Pologne. Quoique imparfaite, elle parait à l’abus du pouvoir de la Russie ; car quand la Russie a voulu disposer des forces de la Pologne contre la France, elle s’est trouvée dans cette alternative d’une révolution qui a éclaté, ou de se soumettre aux vœux des Polonais. C’est précisément parce que la Russie prétendait s’affranchir du vote de la diète polonaise, que la révolution a éclaté.
Peut-on dire qu’il n’y a pas de changement ? mais qu’est-ce qui constitue la nation qui s’appartient, et qui est réunie à une autre nation, comme la Hongrie à l’Autriche ? c’est la constitution. Qu’est-ce qui distingue la nation de la province ? c’est que la nation

Notes
*par sa constitution : le traité de Vienne énonce (article 1) : « Le Duché de Varsovie, [...], est réuni à l'Empire de Russie. Il y sera lié irrévocablement par sa constitution, pour être possédé par S. M. l'Empereur de toutes les Russies, ses héritiers et ses successeurs à perpétuité. ».
*qui [ne] peut : l’original indique « qui peut », mais cela n’a aucun sens
*Quand l’empereur la jura, il déclara que cette garantie constitutionnelle était sous la protection non seulement de son honneur, mais des traités : ???


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a une constitution, une armée, une justice, une administration à elle ; qu’elle ne se rattache à la métropole que dans les limites de la constitution ; qu’elle a contre les abus de la métropole la garantie de ces mêmes lois. Voilà comment une nation peut être réunie à une autre nation, et continuer de s’appartenir.
Eh bien ! aujourd'hui, après les ukases, que reste-t-il de cette constitution, de cette nationalité ? il ne reste rien. L’armée a été envoyée au Caucase, elle a été distribuée dans les régions qui bordent les confins de l’Asie ; l’armée russe est venue occuper le territoire de la Pologne ; la justice est distribuée par des magistrats qui relèvent immédiatement de la Russie. Le trésor est à la disposition de la Russie ; les enfants même de la Pologne sont enlevés du sol de la Pologne, pour aller peupler les déserts de la Sibérie. Comment expliquerez-vous cette garantie des traités qui disaient que la Pologne appartient à la Russie par la constitution, conservant une représentation, une administration indépendantes ?
Quand, dans l’intérêt de l’autocrate, on a déclaré que la Russie a fait à l’égard de la Pologne ce que nous aurions fait à l’égard de la Bretagne, ou de toute autre province insurgée, on s’est étrangement abusé. La Pologne n’a été réunie à la Russie que sous la garantie de sa constitution ; il n’en est pas de même de la Bretagne à l’égard de la France, elle n’a aucun droit politique indépendant à réclamer.
La Pologne n’a été réunie à la Russie que par la force des traités politiques ; ces traités politiques doivent donc être respectés. Nous avons le droit (le ministre des affaires étrangères ne le contestera pas) d’invoquer ces traités en faveur de la Pologne, puisque c’est dans ces traités qu’était la garantie de la Pologne.
Ainsi toute cette discussion politique peut se réduire à deux points. Il s’agit de savoir ce que nous entendons par les traités de 1814 et de 1815. Nous, nous voulons respecter dans ces traités les possessions territoriales ; vous, vous prenez tout, vous respectez même les servitudes. Vous, vous engagez l’autocrate à user d’humanité envers la Pologne ; nous, nous pensons que vous devez


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réclamer la garantie des traités. (Vive adhésion aux extrémités.)
M. Thiers*, ministre du Commerce. – En suivant ce système*, le gouvernement a rendu la paix possible et a sauvé non seulement la paix, mais la liberté.
Quelques voix. Et la Pologne ?
M. le ministre. – J’accepte l’interruption. Il n’a pas sauvé la liberté de la Pologne, c’est vrai ; car cette liberté n’existait pas. La preuve que cette liberté n’existait pas, c’est que la Pologne s’est insurgée. (Bruits divers.)
M. de Tracy*. – Le ministre auquel je réponds a passé à côté de toutes les difficultés élevées par les orateurs qui m’ont précédé. Je m’étonne qu’à l’égard de la Pologne ce ministre ait pu se permettre de dire que rien n’y était notablement changé. Est-il possible qu’un ministre ignore qu’avant la révolution de novembre 1830, la Pologne avait une armée et une administration ! et même une armée dispendieuse* ! car, disons toute la vérité, l’empereur de Russie, qui connaissait toute la puissance belliqueuse de la Pologne, a fait tout ce qu’il a pu pour se l’attacher ; l’armée nationale polonaise coûtait beaucoup au trésor ; sa suppression donne à la Russie de grandes ressources financières. C’est un fait qu’un ministre du roi ne peut ignorer ; il doit savoir aussi que l’empire de Russie, dont les finances ne sont pas dans un état brillant, a pu, à l’aide des confiscations (2), obtenir des sommes énormes, et

Notes
*M. Thiers : Adolphe Thiers (1797-1877), député de 1830 à 1851, ministre des Travaux publics de 1832 à 1834
*en suivant ce système : formulation peu claire ; peut-être faut-il lire en suivant son système, le gouvernement a...
*M. de Tracy : Victor Destutt de Tracy (1781-1864), député de 1827 à 1851, siégeant dans les rangs de la gauche sous la monarchie de Juillet ; fils du philosophe Antoine Destutt de Trac(1754-1836)
*une armée dispendieuse : l’armée du royaume de Pologne, commandée par Constantin, frère des tsars Alexandre et Nicolas, bénéficiait de ressources considérables, en dehors du contrôle de la Diète

(1) La Gazette d’Etat de Prusse du 14 février, et le Moniteur français* du 23, ont publié, à la demande des légations russes, une liste des biens confisqués par Nicolas sur les habitants de la Pologne, dans le gouvernement de Volhynie*. Il en résulte que ce seul gouvernement produira à l’autocrate :
1° en biens                       22 418 000 f.
2) en capitaux                    2 717 812
                        Total         24 235 812 f.
Ajoutons à cela trois autres gouvernements, et l’autocrate retirera de son brigandage une valeur plus que suffisante pour couvrir son nouvel emprunt contracté en Hollande*. Si c’est là une garantie qu’ont cherché les capitalistes hollandais, il faut avouer qu’elle est sinon honorable, du moins savamment calculée. [58] Ainsi chaque jour nous découvre de nouveaux sacrifices de la malheureuse Pologne, de nouveaux empiétements de son oppresseur. Après avoir déchiré les traités, rapproché ses frontières jusqu’au centre de l’Europe, insulté les puissances qui avaient osé élever leur faible voix en faveur d’un peuple opprimé, dépopularisé les monarques vis-à-vis de leurs peuples, et les avoir forcés ainsi à mendier sa protection, asservi une nation entière sur laquelle il n’a aucun droit, il la pille maintenant au profit de son fisc. Et l’Europe reste muette à tant d’iniquités et d’humiliations ! Le Moniteur du 17 mars publie encore une autre liste des confiscations, relative au gouvernement de Vilna*.

Notes
*Moniteur français : sans doute le Moniteur universel, journal plus ou moins officiel
 *gouvernement de Volhynie : la Volhynie est une province polonaise annexée par la Russie en 1795 ; elle devient alors le « gouvernement de Volhynie » (Волынская губерния, Volynskaja gubernija, chef-lieu : Jitomir, à partir de 1804) ; actuellement partie de l’Ukraine
*emprunt contracté en Hollande : attesté (la Hollande, victime de la perte de la Belgique est alors un pays proche de la Russie)
*gouvernement de Vilna : Vilna est la forme russe (en cyrillique, Вильна, Vil’na) de Wilno (version polonaise) ou Vilnius (lituanienne) ; il s’agit aussi d’une ancienne province polonaise annexée par la Russie à la fin du XVIIIème siècle


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que par conséquent sa puissance matérielle et militaire se trouve prodigieusement augmentée.
Vous n’attendez pas de moi, Messieurs, que je déroule ici le tableau de toues les infortunes de nos frères de Pologne, de cette nation généreuse dont on devait maintenir la nationalité. Eh bien ! elle n’existe plus ; les Polonais sont proscrits ; les enfants sont arrachés à leurs mères pour être envoyés dans les mines de l’Oural. Détournons la vue de ce tableau qui fait saigner le cœur de tous les Français.
Que vient-on nous dire ? la Pologne a peu changé ; elle ne pouvait subsister comme nation. Messieurs, le ministre auquel je réponds a dit l’année dernière qu’elle devait disparaître, qu’elle n’avait pas de limites sur la carte. Et, chose bizarre ! dans une histoire justement célèbre*, dans laquelle tout le monde rend justice au talent de l’écrivain (M. Thiers), on trouve, à propos de l’abandon de Venise par le général Bonaparte en 1797*, l’accusation d’avoir sacrifié Venise comme on a sacrifié la Pologne. « Mais quelle différence, ajoute-t-il, entre Venise qui expirait dans ses lagunes, qui n’avait plus de commerce, et cette Pologne dont les limites, quoi qu’on en dise, sont tracées sur la carte ; cette Pologne qui est indispensable à l’indépendance de l’Europe, cette Pologne qui, malgré une constitution vicieuse, était remplie de citoyens généreux. » L’éloquent écrivain dit dans son ouvrage, en faveur du maintien de la Pologne, tout le contraire de ce qu’il  a dit à cette tribune. Au moins l’orateur devait-il s’en tenir aux arguments qu’il a invoqués l’année dernière, pour vous prouver que la Pologne

Notes
*une histoire justement célèbre : il doit s’agir de L’Histoire de la Révolution française (1823-1827)
*l’abandon de Venise par le général Bonaparte en 1797 : après la campagne d’Italie et le traité de Campo-Formio


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ne pourrait subsister en dépit des Jagellons et des conquérants de Moscou. Mais il trouve dans son imagination féconde de nouveaux motifs pour se consoler de la catastrophe de la Pologne, catastrophe dont je ne me consolerai jamais !
Il est en vérité superflu de répondre à des objections de cette nature ; elles se réfutent d’elles-mêmes. Il est certain que la Pologne devait obtenir plus par les traités qu’on ne voulait lui accorder ; il est également certain que c’est pour la réalisation de ces promesses que les nobles enfants de la Pologne se sont levés ; car, dans les plaintes amères qu’on porte contre eux, on ne cesse de répéter que si les Polonais avaient voulu se contenter de la portion de liberté qu’on voulait leur laisser, ils l’auraient eue ; c’est en cela que leur chute est encore plus glorieuse, puisqu’ils n’ont pu être séduits par les faveurs de l’arbitraire.

Après ce discours, la Chambre, consultée, a fermé la discussion générale. »



Création : 29 septembre 2015
Mise à jour : 19 octobre 2015
Révision : 30 juin 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 210 Le débat parlementaire du 20 février 1833 sur la situation du royaume de Pologne : texte
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/09/le-debat-parlementaire-du-20-fevrier.html












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