Etude des données concernant le passeport utilisé par Chopin
lors de son voyage de Vienne à Paris (1831)
Classement : biographie ; Frédéric Chopin
Ceci est la suite de la page Les
passeports de Chopin, dans laquelle se trouvent des éléments généraux sur
ce sujet (liste des voyages de Chopin « à l’étranger » ; énoncé
de questions basiques) et de la page Le passeport de 1830.
Aperçu chronologique
Chopin part de Varsovie pour Vienne en novembre 1830 ; il
quitte Vienne en juillet 1831 et arrive à Paris en septembre, après avoir
séjourné à Munich et Stuttgart.
Le passeport qu’il détient durant ce dernier voyage est
l’objet d’un intérêt relativement élevé dans la littérature biographique.
Le passeport de 1831
C’est un des deux passeports évoqués dans les biographies de
Chopin ; d’une part, parce que Chopin aurait eu du mal à l’obtenir, et, d’autre
part, qu’il est en relation avec une phrase, citée par Liszt et reprise par Antoine Wodzinski : « Je ne suis ici [à Paris] qu’en passant ». Ce passeport est aussi peut-être
impliqué à propos de l'épisode du refus de Chopin de faire une « demande
de renouvellement » auprès de l'ambassade russe (mais cet épisode est peu clair).
Aucun biographe n’indique que le document ait été conservé
(contrairement au passeport de 1837) ; ce qui en est dit vient,
semble-t-il, de mentions dans diverses sources.
Je commencerai par compiler ce qui en est dit dans les livres de Liszt et de Wodzinski, puis dans les biographies récentes les plus conséquentes, celles de Tadeusz Zielinski (Fayard, 1995) et de Marie-Paule Rambeau (L'Harmattan, 2005).
Textes
Franz Liszt (Chopin, 1852)
Référence : édition Buchet-Chastel, 1977, page 225
Antoni Wodzinski (Les Trois Romans de Frédéric Chopin, 1886, p. 162)
Tadeusz Zielinski
Référence : édition Buchet-Chastel, 1977, page 225
« Lorsqu’il eut terminé ses années de collège et ses études d’harmonie avec le professeur Joseph Elsner, […], ses parents voulurent le faire voyager pour lui faire connaître les belles exécutions des grandes œuvres. A cet effet, il fit de court séjours dans plusieurs villes de l’Allemagne. En 1830, il avait quitté Varsovie pour une des ces excursions momentanées, lorsque éclata la révolution du 29 novembre. Obligé de rester à Vienne, il s’y fit entendre dans quelques concerts ; mais […] le jeune artiste n’y produisit pas toute la sensation à laquelle il avait droit de s’attendre. Il quitta Vienne dans le dessein de se rendre à Londres ; mais c’est d’abord à Paris qu’il vint, avec le projet de ne s’y arrêter que peu de temps. Sur son passeport, visé pour l’Angleterre, il avait fait ajouter : Passant par Paris. Ce mot renfermait son avenir. Longues années après, lorsqu’il semblait plus qu’acclimaté, naturalisé en France, il disait encore en riant : "Je ne suis ici qu’en passant.". »
Antoni Wodzinski (Les Trois Romans de Frédéric Chopin, 1886, p. 162)
« Il quitta Vienne au mois d’août de l’année 1831.
L’Italie ne l’attirait pas. C’est vers Paris qu’il tournait depuis longtemps
ses regards, et que maintenant il dirige ses pas.
Sur son passeport pris pour l’Angleterre, il avait fait
ajouter ces mots : « Passant par Paris ». Ces trois mots
contenaient le secret des vingt années qui lui restaient à vivre. Plus tard,
lorsque la France et Paris étaient devenus sa patrie d’adoption, il répétait
souvent avec le sourire triste qui lui était habituel :
― Et dire que je ne suis ici qu’en passant ! »
Tadeusz Zielinski
Dans l’ouvrage de Tadeusz Zielinski, on trouve des
références au passeport de 1831 aux pages 291-292, 296 et 487.
« Page 291
On était en juillet 1831 et
Chopin voulait quitter Vienne dès que les formalités seraient réglées. Pour la
première partie du voyage, il s’était trouvé un agréable compagnon :
Norbert Kumelski, naturaliste de Lituanie, de neuf ans plus âgé que lui, arrivé
en automne à Vienne afin d’approfondir ses connaissances, et qui s’apprêtait à
continuer son voyage. Frédéric s’était lié d’amitié avec lui au cours
d’excursions dans la campagne environnante qu’il faisait notamment avec Leopold
Czapek, pianiste de Varsovie. Kumelski l’accompagna dans les différentes
démarches et formalités de départ : le passeport de Chopin, déposé au
commissariat, avait été égaré : il dut en demander un nouveau auprès des
autorités autrichiennes, et aussi à l’ambassade russe, dont il dépendait en
tant que Polonais, donc sujet du tsar* (malgré l’insurrection*).
Comme il ne pouvait guère espérer
que les Autrichiens ou les Russes lui faciliteraient son départ pour le Paris
post-révolutionnaire, Chopin déposa une demande de passeport et de visa pour
l’Angleterre, donnant d’amples justifications à son désir de faire un séjour
prolongé à Londres. La police autrichienne signa les attestations nécessaires,
mais l’ambassade russe, sans doute parce que le gouvernement insurrectionnel
était représenté à Londres, lui opposa un refus et lui rendit son passeport,
avec l’autorisation seulement de se rendre en Bavière. Chopin décida de ne pas
en tenir compte : ignorant le refus russe, il se rendit directement chez
l’ambassadeur Maison, qui lui accorda un visa d’entrée en France. Il ne lui
restait plus qu’à obtenir un certificat de santé, exigé à l’entrée en Bavière à
cause d’une épidémie de
292
choléra, pour pouvoir se mettre en route ; au cours de différentes
démarches administratives, Chopin et Kumelski eurent le plaisir de faire la
connaissance d’un compatriote célèbre : l’auteur de comédies Aleksander
Fredro, qui réglait les formalités de départ pour les membres de son personnel.
Muni des lettres de
recommandation de Kandler et de Malfatti pour Cherubini et Paër, figures
importantes du monde musical parisien, Frédéric quitta Vienne le 20 juillet.
[Zielinski décrit ensuite les étapes
du voyage : Salzbourg, Munich, Stuttgart ; évoque rétrospectivement
le déroulement l’insurrection de la Pologne ; donne des extraits du Journal écrit par Chopin pendant quelques
jours alors qu’il se trouvait à Stuttgart] »
296
[Extrait du Journal de Stuttgart]
« Mon passeport sera périmé le mois prochain*, je ne pourrai plus vivre à l’étranger – du moins je ne le pourrai plus officiellement. »
« Mon passeport sera périmé le mois prochain*, je ne pourrai plus vivre à l’étranger – du moins je ne le pourrai plus officiellement. »
487
« En juillet [1837], Chopin ne se rendit pas à Ems pour se faire soigner, mais effectua son premier voyage en Angleterre. Il avait l'intention de s'y rendre depuis six ans ; son passeport* indiquait même que Paris n'était qu'un étape de son voyage pour Londres. »
Notes
* l’ambassade russe, dont il dépendait en tant que Polonais,
donc sujet du tsar : en fait, les autochtones du royaume de Pologne sont
selon le Code
civil polonais de 1825, article 9), « Polonais, sujets du royaume de
Pologne » ; on peut dire que Chopin est sujet du roi de Pologne, mais
pas qu’il est sujet du tsar, même si le tsar et le roi de Pologne sont une
seule personne. En revanche, à Vienne, il dépend bien en pratique de l’ambassade
russe, le royaume de Pologne n’ayant pas de représentation à l’étranger.
*malgré l’insurrection : en janvier 1831, la diète a
voté un acte retirant à Nicolas 1er le trône de Pologne
*mon passeport sera périmé le mois prochain : Chopin
écrivant ceci en septembre 1831 indique le mois d’octobre 1831 comme période d’expiration,
ce qui pourrait correspondre à une année après l’obtention à Varsovie du
passeport pour Vienne.
*son passeport : il s'agit du passeport de 1831 (« depuis six ans »)
Marie-Paule Rambeau
Dans l’ouvrage
de Marie-Paule Rambeau, on trouve des références au passeport de 1831 pages 235-236 :
« Pour
continuer son voyage [à partir de Vienne], il lui fallait un passeport validé
par les autorités autrichiennes et russes dont il dépendait comme sujet
polonais. Les uns et les autres faisaient traîner en longueur les formalités,
avec une égale mauvaise volonté. Il finit par obtenir un passeport visé pour
l’Angleterre via la France, bien que l’ambassade de Russie l’eût seulement
autorisé à se rendre en Bavière, après s’être soumis à une visite médicale. Une
épidémie de choléra venait en effet d’éclater […]. Son ami Kandler succomba au
choléra juste après son départ, et, au même moment en Russie, Maria Szymanowska
et le Grand-Duc Constantin. La maladie gagnait progressivement toute l’Europe,
en suivant le même chemin que lui. »
Création : 12 décembre 2013
Mise à jour : 5 novembre 2014
Révision : 29 juillet 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 137 Les passeports de Chopin 2 Le passeport de 1831
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/12/passeports-chopin-2-passeport-1831.html
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